Une grève étudiante légale et institutionnelle
Les rumeurs fusent, de part et d'autre au sein du milieu étudiant militant, voulant que le gouvernement québécois viserait une réforme de la loi sur l'accréditation et le financement des associations étudiantes - la loi 32. Cette réforme aurait pour objectif premier la clarification du texte de loi à l'égard du droit de grève (ou de boycott) étudiant. Grosso modo, le gouvernement péquiste cherche à clarifier le doute qui persiste autour de cette simple question : grève ou boycott ?
De la grève au boycott : un principe non-dit
nouvellement bafoué
Historiquement
parlant, les grèves étudiantes du Québec ont toujours été reconnues légitimes
par le pouvoir établi. Dès lors, le débat entre les deux parties n'entourait
pas la légitimité du mouvement étudiant, mais plutôt ses
revendications. Ainsi, les gouvernants respectaient le choix démocratique pris
par la communauté étudiante et cherchaient la résolution rapide et efficace du
conflit, malgré l'absence de mention du droit de grève dans l'article de la loi
32.
Or, le
Printemps érable a vu un gouvernement briser ce lien, ce principe non-dit qui
subsistait entre la communauté étudiante et le pouvoir : par son refus de
reconnaissance du droit de grève, M. Charest a alors encouragé la
judiciarisation inefficace et malsaine d'un conflit politique. Injonctions,
loi spéciales et arrestations arbitraires devinrent alors le lot quotidien
d'une société prise entre les griffes d'un pouvoir terni par la honte, aux
relents autoritaires.
Le
gouvernement québécois nouvellement élu chercherait donc, par la réforme de la
loi 32, à empêcher que se répète le scénario du printemps 2012 : le droit de
grève serait alors mentionné dans la loi, ce qui empêcherait toute
non-reconnaissance de ce droit fondamental et, surtout, toute judiciarisation
d'un futur débat opposant étudiants et dirigeants.
Il
s'agira, dans le billet qui suit, d'analyser en profondeur les risques générés
par une telle réforme, qui ne fait, détrompons-nous ! point l'unanimité au
sein des différentes associations étudiantes.
Syndicalisme de combat et corporatisme : la
transformation radicale du mouvement ouvrier
La légalisation officielle du droit de grève étudiant enlèverait à la
grève une partie de sa valeur humaine pour la transformer en une action
institutionnelle. Ce faisant, le mouvement étudiant perdrait son côté combatif,
se transformant de plus en plus en une corporation qui travaillerait main dans
la main avec le gouvernement et qui craindrait, plus que tout, l'illégalité et
la désobéissance civile. Pourquoi ?
La raison est simple : d'abord, du moment que notre
principal adversaire politique - le gouvernement - établit les règles du jeu,
la partie en soi devient inégale. Ensuite, entrer en grève requiert du courage
et de la volonté, mais en nécessiterait bien moins si la grève devenait une
action hautement légale. L'incitatif produit par une légalisation et une
reconnaissance du droit de grève étudiant va comme suit : on voudra toujours
rester dans la plus stricte légalité, puisqu'il est possible de débrayer
légalement. L'effet malsain de la légalisation et de
l'encadrement institutionnel du droit de grève s'observe facilement
au sein du mouvement ouvrier.
En effet, avant sa reconnaissance légale et son encadrement
institutionnel, le droit de grève au sein du milieu ouvrier était dirigé par un
mouvement combatif et général : on parlait alors de syndicalisme de combat, et
les syndicats luttaient pour des causes sociales très larges. À l'aube du
mouvement syndical, c'est-à-dire vers la fin du XIXe siècle, les grèves étaient dures; les grévistes, courageux;
les manifestations, musclées. Force et courage étaient les mots d'ordre du
mouvement ouvrier, qui mangea autant de coups qu'il en rendit. La ténacité et
la force du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle
et du début du XXe siècle engendrèrent en partie les acquis
sociaux qui protègent actuellement les travailleurs québécois. Le mouvement,
alors, ne craignait point la loi, injuste, ni la justice, corrompue et vendue,
instrumentalisée par l'adversaire politique et par la bourgeoisie.
Toutefois, ce syndicalisme de combat déclina
graduellement dans le milieu ouvrier depuis la reconnaissance totale des
grandes centrales syndicales, et disparut définitivement avec la fin des grands
leaders syndicaux, tel Michel Chartrand. L'encadrement légal du mouvement
ouvrier transforma les syndicats combatifs en corporations puissantes
et plus que financées : or, qui prend goût au pouvoir et à la richesse perd le
goût du combat acharné. Seule la lutte ne paie plus suffisamment.
Aujourd'hui, plusieurs des grandes centrales syndicales ne
défendent principalement que les intérêts directs de leurs membres et manquent
énormément de courage lorsque vient le temps de désobéir franchement à une loi
spéciale pour faire avancer une cause. On se rappellera tous du tiède soutien
de ces centrales au mouvement étudiant : alors que la CLASSE appelait à la
désobéissance civile via la manifestation nationale du 22 mai, les centrales syndicales
ne manifestèrent que dans la plus stricte légalité, c'est-à-dire dans
un itinéraire donné aux policiers dans le respect total de la défunte et
abjecte loi 12. Plus encore, nul n'imaginerait un syndicat national combattre
dans la rue comme le firent les étudiants durant le Printemps érable.
Ainsi, alors que les dernières grèves ouvrières - telle la grève des infirmières, puis celle des camionneurs -,
prirent toutes fin suivant l'adoption de telle ou telle loi spéciale infâme, la
grève et le mouvement étudiant ne perdit point de son souffle, malgré la
substantielle menace judiciaire.
Quel objectif pour le
gouvernement actuel ?
La réforme de la loi 32 proposée par le
gouvernement élu semble, à première vue, viser le renforcement du droit de
grève étudiante. Il s'agirait donc, pour le gouvernement actuel, d'armer institutionnellement
les syndicats étudiants pour leurs grèves futures.
Après réflexion, force est d'admettre que la
réalité est toute autre : le gouvernement actuel, disons-le, ne diffère point
du précédent dans son désir de réforme néolibérale de l'État. Les visées
capitalistes du cabinet Marois ciblent, à terme, les mêmes objectifs que celles
de l'ancien cabinet Charest : l'instauration d'un État capitaliste dont
l'interventionnisme économique est fortement limité; la glorification du
principe d'utilisateur-payeur, de l'individualisme libéral au mépris de la
cohésion et de la solidarité sociales.
S'agit-il donc d'une réforme de la loi 32 visant à
donner aux grèves étudiantes futures quelques assises légales, ou plutôt d'une
réforme visant à taire tranquillement et silencieusement les derniers
battements, les dernières vibrations d'un syndicalisme de combat en triste voie
de disparition ?