vendredi 30 novembre 2012

Syndicalisme de combat : du mouvement ouvrier au mouvement étudiant

Une grève étudiante légale et institutionnelle




Les rumeurs fusent, de part et d'autre au sein du milieu étudiant militant, voulant que le gouvernement québécois viserait une réforme de la loi sur  l'accréditation et le financement des associations étudiantes - la loi 32. Cette réforme aurait pour objectif premier la clarification du texte de loi à l'égard du droit de grève (ou de boycott) étudiant. Grosso modo, le gouvernement péquiste cherche à clarifier le doute qui persiste autour de cette simple question : grève ou boycott ?



De la grève au boycott : un principe non-dit nouvellement bafoué

Historiquement parlant, les grèves étudiantes du Québec ont toujours été reconnues légitimes par le pouvoir établi. Dès lors, le débat entre les deux parties n'entourait pas la légitimité du mouvement étudiant, mais plutôt ses revendications. Ainsi, les gouvernants respectaient le choix démocratique pris par la communauté étudiante et cherchaient la résolution rapide et efficace du conflit, malgré l'absence de mention du droit de grève dans l'article de la loi 32.

Or, le Printemps érable a vu un gouvernement briser ce lien, ce principe non-dit qui subsistait entre la communauté étudiante et le pouvoir : par son refus de reconnaissance du droit de grève, M. Charest a alors encouragé la judiciarisation inefficace et malsaine d'un conflit politique. Injonctions, loi spéciales et arrestations arbitraires devinrent alors le lot quotidien d'une société prise entre les griffes d'un pouvoir terni par la honte, aux relents autoritaires.

Le gouvernement québécois nouvellement élu chercherait donc, par la réforme de la loi 32, à empêcher que se répète le scénario du printemps 2012 : le droit de grève serait alors mentionné dans la loi, ce qui empêcherait toute non-reconnaissance de ce droit fondamental et, surtout, toute judiciarisation d'un futur débat opposant étudiants et dirigeants.

Il s'agira, dans le billet qui suit, d'analyser en profondeur les risques générés par une telle réforme, qui ne fait, détrompons-nous ! point l'unanimité au sein des différentes associations étudiantes.

Syndicalisme de combat et corporatisme : la transformation radicale du mouvement ouvrier

La légalisation officielle du droit de grève étudiant enlèverait à la grève une partie de sa valeur humaine pour la transformer en une action institutionnelle. Ce faisant, le mouvement étudiant perdrait son côté combatif, se transformant de plus en plus en une corporation qui travaillerait main dans la main avec le gouvernement et qui craindrait, plus que tout, l'illégalité et la désobéissance civile. Pourquoi ?

La raison est simple : d'abord, du moment que notre principal adversaire politique - le gouvernement - établit les règles du jeu, la partie en soi devient inégale. Ensuite, entrer en grève requiert du courage et de la volonté, mais en nécessiterait bien moins si la grève devenait une action hautement légale. L'incitatif produit par une légalisation et une reconnaissance du droit de grève étudiant va comme suit : on voudra toujours rester dans la plus stricte légalité, puisqu'il est possible de débrayer légalement. L'effet malsain de la légalisation et de l'encadrement institutionnel du droit de grève s'observe facilement au sein du mouvement ouvrier.

En effet, avant sa reconnaissance légale et son encadrement institutionnel, le droit de grève au sein du milieu ouvrier était dirigé par un mouvement combatif et général : on parlait alors de syndicalisme de combat, et les syndicats luttaient pour des causes sociales très larges. À l'aube du mouvement syndical, c'est-à-dire vers la fin du XIXe siècle, les grèves étaient dures; les grévistes, courageux; les manifestations, musclées. Force et courage étaient les mots d'ordre du mouvement ouvrier, qui mangea autant de coups qu'il en rendit. La ténacité et la force du mouvement ouvrier de la fin du XIXe siècle et du début du XXsiècle engendrèrent en partie les acquis sociaux qui protègent actuellement les travailleurs québécois. Le mouvement, alors, ne craignait point la loi, injuste, ni la justice, corrompue et vendue, instrumentalisée par l'adversaire politique et par la bourgeoisie.

Toutefois, ce syndicalisme de combat déclina graduellement dans le milieu ouvrier depuis la reconnaissance totale des grandes centrales syndicales, et disparut définitivement avec la fin des grands leaders syndicaux, tel Michel Chartrand. L'encadrement légal du mouvement ouvrier transforma les syndicats combatifs en corporations puissantes et plus que financées : or, qui prend goût au pouvoir et à la richesse perd le goût du combat acharné. Seule la lutte ne paie plus suffisamment.

Aujourd'hui, plusieurs des grandes centrales syndicales ne défendent principalement que les intérêts directs de leurs membres et manquent énormément de courage lorsque vient le temps de désobéir franchement à une loi spéciale pour faire avancer une cause. On se rappellera tous du tiède soutien de ces centrales au mouvement étudiant : alors que la CLASSE appelait à la désobéissance civile via la manifestation nationale du 22 mai, les centrales syndicales ne manifestèrent que dans la plus stricte légalité, c'est-à-dire dans un itinéraire donné aux policiers dans le respect total de la défunte et abjecte loi 12. Plus encore, nul n'imaginerait un syndicat national combattre dans la rue comme le firent les étudiants durant le Printemps érable.

Ainsi, alors que les dernières grèves ouvrières - telle la grève des infirmières, puis celle des camionneurs -, prirent toutes fin suivant l'adoption de telle ou telle loi spéciale infâme, la grève et le mouvement étudiant ne perdit point de son souffle, malgré la substantielle menace judiciaire.

Quel objectif pour le gouvernement actuel ?

La réforme de la loi 32 proposée par le gouvernement élu semble, à première vue, viser le renforcement du droit de grève étudiante. Il s'agirait donc, pour le gouvernement actuel, d'armer institutionnellement les syndicats étudiants pour leurs grèves futures.

Après réflexion, force est d'admettre que la réalité est toute autre : le gouvernement actuel, disons-le, ne diffère point du précédent dans son désir de réforme néolibérale de l'État. Les visées capitalistes du cabinet Marois ciblent, à terme, les mêmes objectifs que celles de l'ancien cabinet Charest : l'instauration d'un État capitaliste dont l'interventionnisme économique est fortement limité; la glorification du principe d'utilisateur-payeur, de l'individualisme libéral au mépris de la cohésion et de la solidarité sociales.

S'agit-il donc d'une réforme de la loi 32 visant à donner aux grèves étudiantes futures quelques assises légales, ou plutôt d'une réforme visant à taire tranquillement et silencieusement les derniers battements, les dernières vibrations d'un syndicalisme de combat en triste voie de disparition ?