jeudi 14 novembre 2013

Féminisme 101 - À lire au complet pour en saisir le sens


Le port du voile est un symbole de la soumission de la femme envers l'homme. Il est dégradant, sexiste et nuit à l'égalité entre les sexes.

Parallèlement, on relève dans la culture occidentale d'autres symboles dégradants pour la femme : mini-jupe, maquillage, décolletés - tous des vêtements n'ayant pour objectif que de faire paraître belles les femmes aux yeux des hommes, alimentant la culture de domination sexuelle occidentale. Cette culture veut faire de la femme un objet et, pire encore, encourage, voire force la compétition sexuelle entre les femmes pour charmer ces messieurs.

Jusqu'ici, mon discours féministe sonne (et j'insiste sur le terme sonne) à la fois faux et vrai : faux lorsqu'il traite de la culture occidentale; vrai lorsqu'il traite de la culture musulmane. Toutefois, le discours s'appuie sur les mêmes bases théoriques : le rapport de la femme à l'homme, rapport imposé par la culture ambiante.

Il est temps, je crois, de remettre à l'heure les pendules. L'analyse décrite plus haut est entièrement fallacieuse. Analysés comme des items alimentant le rapport entre les hommes et les femmes, le voile, autant que le maquillage, la minijupe et le décolleté, apparaissent comme des items sexistes et relevant de la culture de domination sexuelle. L'analyse est erronée dans la valeur attribuée à chacun de ces items.

Voir un vêtement porté par une femme comme étant nécessairement un vêtement de relation avec un homme est l'erreur commune commise par nombre de féministes imprégné-e-s des résidus de la culture machiste - et j'insiste : il s'agit de résidus, car des morceaux solides de cette culture feraient des dégâts d'un tout autre genre.

Ni le voile, ni le maquillage, ni la minijupe, ni le décolleté, ni aucun autre vêtement féminin ne doit être perçu nécessairement comme un symbole d'une domination sexuelle. Chacun de ces vêtements est avant tout strictement féminin. Une femme ne porte pas nécessairement un item pour affirmer sa relation à l'homme, mais pour s'affirmer elle-même en tant que femme.

Mesdames libres sans voile, votre maquillage, vos beaux vêtements, sont-ils avant tout un symbole de votre épanouissement personnel, ou bien un symbole de votre désir sexuel primitif ?

Mesdames épanouies et voilées - car cela est bien possible -, votre voile est-il nécessairement une marque de la relation entretenue envers l'homme ?

J'ose croire que, dans la majorité des cas, une femme s'habille comme elle s'habille non pas pour affirmer sa relation envers l'homme, mais pour affirmer sa relation envers elle-même et envers la femme qu'elle est. La domination sexuelle ne trouve pas racine dans un vêtement : elle est enracinée dans la culture, dans les traditions, dans les mentalités, dans les idéologies. Le voile, le maquillage sont des symboles d'une culture : ils ne sont pas, dans leur nature, fondamentalement sexistes. Abattez la culture machiste qu'ils nourrissent, et ils perdront toute valeur sexiste. Un voile porté par choix est un symbole de liberté. Un maquillage porté par choix l'est tout autant. Malgré que les deux régissent des relations entre la femme et les hommes, si les deux sont un choix individuel, ils servent avant tout la relation envers soi. Il n'est pas de notre droit de juger de la forme que prend la liberté et l'émancipation des autres femmes. Notre jugement, en ce sens, ne peut être qu'imprégné d'un paternalisme culturel dégradant. 

La lutte pour l'égalité des sexes est loin d'être terminée - ni ailleurs, ni ici, cas ici porte bien, au fond, son lot d'iniquités salariales et de publicités sexistes, ici alimente bien l'hypersexualisation de la jeunesse masculine et féminine, ici impose bien la culture de la beauté unique, artificielle, médiatique, au détriment de la beauté pure et naturelle de l'être. Ce n'est pas d'un féminisme paternaliste purement occidental dont ont besoin les femmes d'ailleurs pour sortir de la misère : c'est d'un féminisme solidaire, égalitaire, à travers lequel hommes et femmes du monde ne se regardent ni de haut, ni de bas, ni ne tentent d'imposer une vision culturelle de l'égalité sexuelle, mais luttent ensemble pour faire fleurir l'égalité sexuelle dans les faits, avec ses variantes selon le pays, la culture, le peuple, et travaillent ensemble pour l'épanouissement de tous et de toutes.

Un féminisme sans internationalisme est un féminisme gâché.

mercredi 11 septembre 2013

Propagande médiatique et démocratie



L'opinion publique est manipulée par les médias de masse, qui l'orientent vers une direction politique choisie. Ce faisant, le réel débat politique dans le monde démocratique est inexistant : les alternatives électorales qui s'offrent à nous sont toutes les mêmes, et, malgré des détails différents, le projet politique global de tous les partis présentés comme aptes à diriger le pays ne varie presque pas.

Les grands axes de la direction politique diffusée : capitalisme et étatisme


Ce projet, cette direction politique, s'oriente sur un grand axe et, parfois, sur un second. Le premier, nécessaire, est le capitalisme, le libre-marché, le néo-libéralisme. Tous les médias de masse défendent le capitalisme, et les quelques chroniqueurs dissidents ne s'éloignent jamais trop loin de la ligne directrice.

Par exemple, certains chroniqueurs de gauche peuvent critiquer la hausse des frais de scolarité. Toutefois, aucune critique globale du capitalisme n'est lue ou entendue dans un média de masse.

Le second axe est l'étatisme. La plupart des médias de masse encouragent l'idéologie de l'État (l'étatisme, qui s'oppose à l'anarchisme, est la doctrine faisant la promotion de l'État comme nécessité en politique et comme vecteur de changement politique), car ce dernier est souvent l'appui par excellence de la grande bourgeoisie. En effet, l'État, pour survivre, a besoin d'une bourgeoisie qui le soutienne économiquement. Dans les dictatures, cette bourgeoisie lui fournit les armes : le cas de l'U.R.S.S. est parlant, où la bourgeoisie créée par le gouvernement quelques ans suivant la Révolution armait la police et, surtout, l'armée rouge, forces politiques nécessaires au maintien du pouvoir en place. Dans les démocraties, elle assure au gouvernement une réélection ou décide de sa perte politique : il suffit qu'un média de masse décide de glorifier ou de rabaisser un parti et les intentions de vote changent totalement, attendu que la majorité des Québécois-es ne s'informent que très peu de la politique, n'ont jamais lu ni plateforme électorale, ni parti politique et ne se fient, pour voter, qu'aux discours, au Débat des chefs, aux analyses des ''experts'', qui ne sont que les experts invités par le média, sinon d simples chroniqueurs.

Quelques médias n'encouragent pas l'étatisme : ceux-là se disent libertariens et prônent la suppression de l'État pour laisser le libre-marché dominer. N'empêche, ces grands médias libertariens appuient toute mesure capitaliste de l'État et condamnent toute mesure progressiste. C'est le cas, par exemple, de Radio X, qui s'insurge contre la hausse des impôts des riches, mais encourage la hausse des frais de scolarité.

Médias bourgeois et modèle de propagande


Ceci dit, il faut encore prouver que les médias appartiennent réellement à la grande bourgeoisie. Pour ce faire, disons-le d'emblée, je m'inspire de cette source-ci : CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. La fabrication du consentement, Marseille, Agone, 2009, 4e éd., 669 p.

Dans cet essai, Chomsky et Herman dressent un modèle de propagande orienté sur cinq filtres :
  • ·         taille, actionnariat, orientation lucrative;
  • ·         la régulation par la publicité;
  • ·         les sources d'informations;
  • ·         contre-feux et autres moyens de pression;
  • ·         anti-communisme.

Pour alléger le texte, je ne développerai que les deux premiers points. Note : la première édition du livre date de 1988. Avec le temps, l'anti-communisme est devenu l'anti-terrorisme.

1er filtre : taille, actionnariat, orientation lucrative


Les auteurs affirment que le premier filtre épure le milieu médiatique, en l'offrant entièrement à la bourgeoisie. Cette épuration est expliquée par l'explosion des coûts et investissements nécessaires au bon fonctionnement d'un journal national à grand tirage. Ainsi, à New York, en 1851, le coût de lancement d'un nouveau journal s'élevait à 69 000 $. En 1872, le St. Louis Democrat est acquis pour 460 000 $ aux enchères. Dans les années 1920, les journaux new-yorkais se cédaient entre six et dix-huit millions de dollars. À propos de la machinerie nécessaire, les coûts se chiffraient à des centaines de milliers de dollars et ce, même pour un journal à faible tirage. Ainsi, l'accès à la propriété d'un média fut graduellement limité par les coûts. Pour avoir droit à cet accès, il faut aujourd'hui disposer de moyens financiers considérables, faute de quoi le média est condamné à être marginal, à faible tirage et local.

2e filtre : la régulation par la publicité


« Commentant au milieu du XIXe siècle les avantages du libre-échange comme mode de contrôle des opinions dissidents, le très libéral ministre des Finances britannique sir George Lewis faisait valoir que le marché privilégierait naturellement les journaux ''jouissant de la faveur du public et de la publicité''. La publicité allait en effet devenir un puissant mécanisme de sape de la presse de la classe ouvrière. Curran et Seaton donnent le même statut à sa croissance qu'à celle des coûts de production parmi les facteurs expliquant que le marché air réussi là où les taxes et le harcèlement avaient échoué : ''Les publicitaires acquirent de facto un droit de veto sur les journaux, dès lors que, sans leur appui, ceux-ci cessaient d'être économiquement viables.''» (pp. 46-47)

En fait, avant l'apparition de la publicité dans le milieu médiatique, « les coûts de production devaient être couverts par le prix de vente. » (p. 47) Or, lorsque la publicité fit son apparition, les médias qui bénéficiaient de son appui pouvaient se permettre de vendre leur produit à perte, compensant les coûts de production par les revenus engendrés via la publicité. Ainsi, les médias faisant appel aux publicitaires offraient un produit nettement moins cher : la concurrence fit tranquillement disparaitre de la scène nationale tout média désireux de garder son indépendance totale, puisque celui-ci cessait de facto d'être concurrentiel.

Or, les publicitaires ne sont pas attirés par la presse anticapitaliste pour deux raisons : d'abord parce que le lectorat de cette presse est prolétaire, pauvre et consomme peu - à ce sujet, un cadre de la publicité affirmait, en 1856, sur la presse anticapitaliste : « Leurs lecteurs n'achètent rien, et toute somme qui leur est consacrée est autant d'argent jeté par la fenêtre. » (p. 48); ensuite, parce que la presse anticapitaliste présente des idéologies ennemis aux intérêts marchands des publicitaires. À propos de la discrimination subie par la presse radicale, Chomsky et Herman écrivent : « bien des entreprises refusent en outre de subventionner des ennemis idéologiques ou veux qu'ils perçoivent comme nuisant à leurs intérêts, et des cas de discrimination ouverte viennent s'ajouter à l'élection censitaire. En 1985, les studios TV WNET perdirent leurs crédits de Gulf + Western suite à la diffusion du documentaire Hungry for Profit, qui critiquait les activités des multinationales dans le tiers-monde. Avant même la diffusion du programme, anticipant la réaction des industriels, les responsables de la chaîne affirmait avoir ''fait le maximum pour aseptiser le documentaire''.La direction du Gulf + Western se plaignit néanmoins auprès de la chaîne de ce que le programme étaient (sic) ''violemment antibusiness, voire anti-américain'', et que la programmation d'un tel documentaire n'était pas le genre d'attitude que la firme attendait de ses ''amis''. Le London Economist conclut laconiquement : ''Il semble clair désormais que WNET ne fera pas la même erreur une deuxième    fois.'' » (p. 51) Pire encore, certains publicitaires ne cachent pas leur discrimination : ainsi, le directeur de la communication d'entreprise de General Electric déclarait : « Nous entendons privilégier une programmation dont l'esprit vienne renforcer nos messages d'entreprise ». Finalement, les auteurs affirment que les annonceurs et les publicitaires « soutiendront rarement des programmes mettant en cause les pratiques de l'industrie, comme les problèmes de dégradation de l'environnement, les activités du complexe militaro-industriel ou le soutien aux pires dictatures du tiers-monde et les substantiels bénéfices qui en sont tirés par le monde des affaires. » (p. 51)

Le survol du modèle de propagande dressé par Chomsky et Herman prouve que les grands médias et, plus principalement, les dirigeants et les actionnaires de ces grands médias, sont intéressés à diffuser largement une idéologie capitaliste. Les opinions politiques dissidentes n'apparaissent pas dans les médias de masse, d'abord parce que ceux qui les possèdent rejettent absolument l'anticapitalisme, qui s'élève contre leurs intérêts de classe bourgeoise; ensuite par les publicitaires, par qui le média est concurrentiel, donc économiquement viable, perçoivent la presse anticapitaliste comme une ennemie idéologique.

Propagande médiatique et réorientation de l’opinion publique


Cet intérêt constant de l’appareil médiatique à promouvoir le capitalisme biaise l'opinion publique, qui devient parfaitement orientée. Le média n'est pas neutre, mais biaisé par ses intérêts de classe. Ainsi, toute idée politique, tout mouvement politique et tout parti politique sensiblement trop à gauche est diabolisé par les médias de masse, duquel ledit média dresse un portrait sombre est noir. Ainsi, l'ASSÉ apparait comme un regroupement d'extrémistes radicaux, Québec Solidaire comme un parti inapte à diriger un pays et le marxisme et l'anarchisme comme des idéologies dangereuses et tout à fait condamnables.

Une fois l'opinion publique réorientée, tout le système politique en devient faussé. Comment, en effet, peut-on affirmer notre démocratie comme étant réellement démocratique, alors que ceux qui contrôlent l'opinion publique sont parfaitement biaisés et décident, au final, non pas de l'issue exacte d'une élection, mais de l'issue idéologique, c'est-à-dire que le projet politique qui sera porté au pouvoir est rarement un réel projet de gauche.

La réforme du Nouveau Parti Démocratique


Un exemple flagrant des conséquences de ce modèle entache le NPD. Ce parti, toujours considéré comme marginal et inapte à prendre le pouvoir, ne récoltait traditionnellement que peu de votes. Or, aux dernières élections, le ras-le-bol généralisé des Québécois-es l'a porté à l'opposition. Dès lors, le NPD est devenu un parti, pour reprendre l'expression de Pierre Bourgault, « respectable ». Or, pour préserver cette image et pour avoir une chance de gouverner, le parti doit faire des médias canadiens de masse non pas ses ennemis, mais ses alliés - faute de quoi, le monde médiatique dresse la population contre le parti et ce dernier retourne au banc des marginaux. Pour ce faire, lors de son dernier congrès, le parti réoriente totalement sa vision politique : il efface toute mention du socialisme de son programme, se distancie des syndicats canadiens et quitte la gauche pour œuvrer au centre. Ce faisant, il maintient sa « respectabilité » auprès des médias et préserve ses chances d'accession au pouvoir.

L’efficacité du modèle de propagande : la Commission Creel, 1917


Maintenant, afin de parfaire mes propos, je me dois de prouver un dernier point : que les stratégies propagandistes des médias fonctionnent et font effet. Pour ce faire, reculons dans l'histoire des États-Unis.

En 1916, aux États-Unis, le président Woodrow Wilson vient d'être réélu. Au centre de la campagne électoral apparait le thème de la guerre, qui fait rage en Europe. Wilson, pour sa part, avait promis au peuple américain que le pays n'interviendrait pas dans cette guerre. Cette promesse le mit au pouvoir.

Or, un an plus tard, l'entrée en guerre des États-Unis est décidée. Il faut donc convaincre la population américaine, majoritairement opposée à la guerre, de cette nécessité de prendre les armes. Pour ce faire, le gouvernement met sur pied la Committee on Public Information, aussi connue sous le nom de Commission Creel, du nom du journaliste qui la dirige : George Creel.

Normand Baillargeon, à propos de la Commission Creel, écrit : « En quelques mois, elle mobilisera tous les moyens possibles (radio, presse, télégraphe, affiches, notamment) pour faire changer d’avis l’opinion publique. Parmi ses innovations, ceux qu’on appellera les «four minute men», des personnages souvent connus de leur milieu (le médecin, l’avocat, l’instituteur) qui prononcent en public des discours de quatre minutes pour aviver la ferveur martiale. Il se prononcera, estime-t-on, plus de 7 millions de ces discours durant le travail de la commission Creel, laquelle connaîtra un immense succès et permettra aux États-Unis d’entrer en guerre. Hitler attribuera en partie la défaite de l’Allemagne à l’efficacité de la propagande américaine et n’oubliera pas la leçon le moment venu. Il ne sera pas le seul. » (BAILLARGEON, Normand. « La commission Creel et le viol des foules », Le Voir, Montréal, 8 novembre 2012, [s.v.n.n.n.p.].)

La dissidence en monde médiatique


Pour conclure, le modèle de propagande fixe les limites de l'acceptable en matière de programmation médiatique. Ainsi, affirmer que les médias parlent à l'unisson est aussi faux qu'affirmer qu'ils sont neutres et impartiaux. Toutefois, le journaliste, lui, parvient toute de même à préserver son image d'indépendance. Or, indépendance du journaliste n'est pas totale, puisque celui-ci évolue dans un monde où les limites lui sont imposées. Ainsi, un journaliste peut remettre en cause les moyens employés par les gouvernants, mais rarement les idéologies qui cachent les projets desdits gouvernants. À propos de la dissidence du journaliste, Chomsky et Herman relatent la critique de l'intervention américaine au Nicaragua, en 1987, effectuée par Tom Wicker. Ce dernier écrivait : « Quelle que puisse être leur doctrine, les États-Unis n'ont aucun droit, historique ou divin, d'imposer la démocratie aux autres nations, objectif qui ne justifie en rien qu'ils renversent les gouvernements qui leur déplaisent. » (CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. Op. cit., p.19).

Ici, Wicker critique les moyens mis en oeuvre par le gouvernement américain pour faire fleurir la démocratie ailleurs dans le monde. Toutefois, le journaliste ne met pas en doute l'intention de démocratisation du gouvernement : il n'avance point l'idée que le gouvernement aurait quelque intérêt économique ou géopolitique à contrôler la région, et que celui-ci, dans la pratique, n'est point humaniste ni démocratisant, mais qu'il utilise la démocratie comme un alibi pour faire fleurir son empire, pour imposer son impérialisme aux pays dissidents. « Wicker représente la limite extrême de ce qui peut être exprimé en matière d'opinion dissidente dans les médias américains » (p. 19) Cela non pas parce qu'il est lui-même un propagandiste, non pas parce qu'il désire volontairement biaiser l'opinion publique, mais parce qu'il évolue dans un monde médiatique modélisé, standardisé, systématiquement propagandiste.

« Dans son ouvrage Deciding What's News, Gans soutient que les reporters sont dans leur grande majorité ''objectifs'', mais le sont dans un environnement où prédomine la croyance en un système de ''valeurs profondément ancrées'', incluant l'''ethnocentrisme'' et l'idée d'un ''capitalisme responsable''. » (p. 14)

mercredi 21 août 2013

Pistes de réflexion contre l'ignoble charte

L'ignoble Charte


Il y a une différence entre pratiquer une religion et porter un symbole religieux. L'État doit être laïc, pas le peuple : l’hypocrisie  dudit État, qui affirme honteusement que ses travailleurs le représentent, est d'ailleurs maximale, considérant que l'État est loin d'être le peuple et de le servir.

Le cas de la femme musulmane voilée


Cette loi, de plus, prive la femme musulmane voilée de bien d'emplois. Or, la femme ne s'émancipe que dans la production sociale ou économique - cela est d'autant plus vrai dans le capitalisme. Si on vise une égalité entre hommes et femmes, on prive la femme musulmane voilée de cette égalité en la rejetant de la fonction publique, des écoles, des hôpitaux. Ce faisant, soit on l'aliène à sa famille et à son mari, desquels elle dépend, étant pauvre, étant chômeuse, soit on l’encourage à chercher un travail ailleurs : au mieux, là où la fonction publique est privatisée; au pire, au bas de l’échelle sociale, au salaire minimum au sein d’une entreprise. Ainsi, cette charte révèle deux ignobles aspects : d’abord, elle est fondamentalement sexiste; ensuite, elle encourage la privatisation des services publics. Le résultat de cette privatisation est d’autant plus grave que la femme voilée se dirigera probablement, pour fuir la xénophobie, vers une école confessionnelle, donc vers la ghettoïsation, vers l’exclusion sociale, jetant dans l’abîme toute chance d’intégration sociale. Notons qu'il n'est pas facile pour une femme voilée de simplement retirer son voile. Parfois, il s'agit de contraintes familiales qui l'obligent à le porter; parfois, c'est le dogmatisme religieux qui ne s'efface pas - et le dogmatisme est une plaie mortelle dont on ne guérit pas en un instant. Parfois aussi, le port du voile n'est qu'un choix.

Ghettoïsation des minorités ethniques


Aussi, sur le plan de l’intégration des minorités ethniques, cette charte est un poison mortel. Les croyants issus des minorités ethniques, plutôt que de désirer s’intégrer à la société québécoise (car ce désir s’apprend après l’immigration, non pas avant), risquent fort de se replier sur eux-mêmes, se sentant, par une telle charte, attaqués et exclus de la société, pointés du doigt car différents. Tant sur le plan pratique que théorique, l’immigrant sera exclu ou cherchera à s’exclure. Son exclusion l’entrainera dans des institutions privées, telles des écoles musulmanes ou juives, des hôpitaux privés, des garderies confessionnelles, etc. Cette charte, plutôt que d’encourager l’intégration des minorités ethniques, provoque leur ghettoïsation et encourage la privatisation confessionnelle des institutions québécoises publiques et laïques. Par exemple, l’enseignante voilée, plutôt que de retirer son voile ira enseigner dans une école musulmane. Le cas s’applique également à un juif portant la kippa.

Le nationalisme, cette fiction bourgeoise


En ce qui a trait à la laïcité, elle est ici poussée à outrance et comporte des dérives parfaitement fascistes. Il y a le « nous » : Québécois de souche, laïcs et majoritairement athées; le « eux » : minorités ethniques fortement religieuses. En divisant le peuple québécois selon son appartenance ethnique, on divise mieux encore les classes populaires et prolétaires dans une optique de contrôle des masses. En gros : diviser le peuple pour mieux régner. En portant à outrance cette glorification de la nation québécoise, on atteint un des critères fondamentaux de la pensée fasciste : le nationalisme.

Sur le nationalisme, rappelons que les pays sont une fiction qui n'existe que dans l'imaginaire : un pays n’existe que si, collectivement, de gré ou de force, on reconnait qu'il y a ici, dans ces frontières, ledit pays. Matériellement, il n'y a pas de frontières ni de pays : que le peuple et sa terre. Le terme de nation, apparu avec la Révolution industrielle, est une fabulation bourgeoise voulant contrer l'internationalisme prolétaire. La nation donne l'illusion que les prolétaires de tel pays ont mieux à faire avec leur bourgeoisie nationale qui les appauvrit et leur État qui les domine, qu'avec les prolétaires des pays voisins. À l’inverse, les classes dirigeantes et bourgeoises ignorent complètement les frontières : les Américains et les Arabes commercent ensemble, les Israéliens et les Arabes également, tout comme le monde capitaliste avec la Chine, les États-Unis avec la Russie, etc. Le nationalisme est donc une vulgaire fiction bourgeoise pour asservir le peuple, et la glorification de la nation québécoise et des valeurs québécoises via la charte péquiste est une énième stratégie bourgeoise et étatiste pour diviser les masses.

« En France, c'est en 89 que l'idée de la Patrie - avec celle de la loi - se révéla dans toute sa puissance. Ce fut l'idée géniale de la bourgeoisie, de substituer l'autorité de la nation à celle du droit divin, de la faire envisager aux travailleurs comme une synthèse de tous les droits et de les amener à défendre le nouvel ordre de choses, en leur donnant la croyance qu'ils luttaient pour la défense de leurs propres droits ! »

Jean Grave, dans La société mourante et l'anarchie, 1892, accuse la bourgeoisie d’avoir profité de la Révolution française pour évincer la noblesse et prendre le pouvoir. Cette noblesse, affirme-t-il, se proclamait du droit divin, c’est-à-dire qu’elle légitimait son autorité sur le peuple par une fictive volonté divine. Donc, la bourgeoisie, en détrônant la noblesse,  dut remplacer le droit divin, qui maintenait les masses sous le joug des dirigeants, par un nouveau droit : celui de la nation, qui faisait des riches et des pauvres, des opprimés et des oppresseurs, une même famille, et qui divisait en différentes familles les pauvres de différents pays, les opprimés de différents pays. Ainsi, la bourgeoisie nouvellement dirigeante fut apte à légitimer son pouvoir : c’est par elle, et par l’unité nationale la reliant aux travailleurs, que la nation est défendue et protégée.

Le travailleur n'est pas l'État


Les radicaux laïcs affirment que le travailleur ou la travailleuse de la fonction publique représente l’État. Ainsi, l’État étant laïc, ses représentants se doivent de l’être également. Or, un regard critique sur la situation politique montre que rien n’est plus faux. Pour qu’un être représente l’État, il doit avoir sur lui un certain pouvoir, en faire partie. Néanmoins, la classe prolétaire et la classe moyenne n’ont aucun pouvoir politique, outre un vote tous les quatre ans. L’État applique sinon ses lois, décidées par 125 élus, pantins de la grande bourgeoisie. Cette dernière, et sa classe politique, sont les seules représentantes de l’État, puisqu’elles ont pouvoir sur lui.

Laïcité ouverte


Finalement, cette charte s'oppose à la laïcité, qui impose au gouvernement une non-intervention dans la vie religieuse des citoyens. Or, empêcher le port d'un symbole religieux par un-e travailleur-se est une intrusion étatique dans la vie religieuse et, pire encore, une limitation de l'expression de l'individualité de chacun. Ainsi, la laïcité ouverte s'oppose à cette charte, qui bafoue les libertés religieuses des citoyens en imposant l'anti-religion de l'État, la laïcité, qui prend elle-même les formes d'une religion d'État, imposée à tous au mépris des libertés individuelles et collectives. Néanmoins, nos adversaires affirmeront que le travailleur de la fonction publique, contrairement aux autres travailleurs, ne doit pas exprimer publiquement ses appartenances religieuses par souci de neutralité de l'État. Or, affirmer cela revient à affirmer que le travailleur de la fonction publique n'a pas les mêmes droits fondamentaux que le citoyen ordinaire; qu'il est légitime de bafouer les libertés des travailleurs de la fonction publique au nom de la neutralité de l'État; bref, qu'un travailleur de la fonction publique n'est pas considéré comme les autres citoyens et qu'il doit subir, lui, un traitement spécial et liberticide.

L'État doit être laïc, pas le peuple : et la démocratie représentative, dictature déguisée, ne fait pas du peuple l'État. Dire aux travailleurs-ses qu'ils-elles représentent l'État est d'une intense hypocrisie. Si je représentais l'État, j'aurais droit de regard et de décision sur les lois et sur les traités qui me concernent. Or, ce droit de regard et de décision n'est accordé qu'à une poignée d'élus inutiles financés et dirigés par une grande bourgeoisie capitaliste sans moralité.


samedi 16 février 2013

Crise et déchirements au sein de la FECQ


Si le mouvement étudiant semblait unifié durant la grève étudiante de 2012, chacune des forces qui le composent a depuis repris sa position au sein du mouvement, et les luttes qui opposent les différentes forces étudiantes sont plus féroces que jamais. La vague massive de désaffiliations qui secoue la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) depuis la grève de 2005 est le résultat d'une de ces luttes.

La FECQ, décriée de tous bords, connait en effet une crise sans précédent, et les désaffiliations en masse qu'elle connait depuis sept ans s'expliquent par sa faible culture démocratique, son manque de transparence et, depuis deux ans, par ses piètres performances financières.

Grève de 2005 : la fin d'une crise, le début d'une autre


En 2005, pour contrer la conversion de 103 millions de dollars de bourses étudiantes en prêts, décrétée par le gouvernement libéral de l'époque, le mouvement étudiant entre en grève générale illimitée et prend la rue. Après l'entrée en grève, à partir du 21 février, de 50 000 étudiants, majoritairement membres de la CASSÉÉ (Coalition de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante élargie), la FECQ appelle officiellement ses 60 000 membres à débrayer, le 3 mars.

Le 2 avril est signée une entente de principe entre les fédérations et le gouvernement. La CASSÉÉ, alors, n'avait pas été invitée aux négociations, alors qu'elle représentait plusieurs dizaines de milliers d'étudiants(1).

C'est à partir de cette grève que la grogne des étudiants envers les fédérations prit de l'ampleur : que les fédérations négocient sans la CASSÉÉ et acceptent une entente de principe jugée nulle a choqué plus d'une association étudiante.

Déni de la démocratie étudiante


La prise de décision, au sein de la FECQ, se fait dans un déni de la démocratie directe insultant. En effet, la fédération, à plusieurs reprises dans le passé, s'est positionnée sur certains enjeux sans demander l'avis de associations membres. Ainsi, les fédérations étudiantes, lors de la grève de 2012, n'eurent aucun mal à dénoncer rapidement la violence, sans consulter leurs membres sur la question(1).

Le déni de la démocratie et le refus de faire participer ses membres à tout débat apparaît aussi dans la position que la FECQ compte défendre au Sommet sur l'enseignement supérieur. En effet, la FECQ, au Sommet, compte défendre un gel des frais de scolarité dans une perspective de gratuité scolaire. Il ne sera pas question, ici, de discuter du mandat, mais de l'adoption du mandat.

En date du 13 décembre 2012, on lisait dans le Journal Métro que la FECQ « estime qu’il faut maintenir le gel des droits de scolarité »(2). Le 9 février 2013, le Devoir citait Mme Éliane Laberge, présidente de la FECQ, qui affirmait d'abord que « l’accessibilité économique et géographique aux études, c’est une priorité et ça passe d’abord par le gel des droits de scolarité », pour rajouter que « dans le cadre du sommet, c’est la première position que nous allons mettre de l’avant »(3).

Or, au regard du calendrier de la FECQ, la fédération tenait ses 
67e, 68e et 69congrès ordinaires aux dates respectives suivantes :
- 17 au 19 août 2012;
- 9 au 11 novembre 2012;
- 18 au 20 janvier 2013.

Un simple regard porté sur les dates exposées démontre que le mandat de gel des frais de scolarité fut probablement adopté au 68e congrès ordinaire : le 67e congrès avait lieu avant l'élection du gouvernement péquiste (élu le 4 septembre 2012); le 69congrès, tenu en janvier, est venu après l'annonce faite dans le journal Métro, datée le 13 décembre 2012 et mentionnée plus haut. Ainsi, la FECQ aurait adopté la résolution lui dictant ses actions au sommet sur l'enseignement supérieur les 9, 10 et 11 novembre 2012, soit bien avant que les associations étudiantes membres de la fédération n'aient eu le temps de prendre position, en assemblée générale, pour ensuite amener leurs mandats au congrès de la FECQ. Rappelons que le quart des membres de la fédération n'ont repris les cours qu'à la mi-octobre : les étudiants des collèges de Rosemont, Ahuntsic et Édouard-Montpetit, pour un total d'environ 20 000 étudiants(4) - la FECQ compte environ 80 000 étudiants(5). Or, le scrutin semi-proportionnel de la FECQ prévoit que les grosses associations étudiantes ont droit à davantage de votes que les petites, le nombre de votes par association variant entre 3 et 9, inclusivement(6).

Ainsi, la FECQ aurait pris position par rapport au Sommet sans donner le temps au cinquième de ses étudiants de se positionner (l'Association générale des étudiants du collège de Rosemont avait réussi à suivre le rythme effréné, tenant une assemblée générale de budget avec un point Sommet à l'ordre du jour, le 7 novembre 2012). D'ailleurs, notons que le retard de ces 20 000 étudiants est dû à la grève étudiante, qui avait été encouragée par la FECQ(1). C'est donc dire que la FECQ n'a su attendre les mandats du quart de ses membres ayant répondu à son appel de grève.

Gagnons en précision : l'AGÉCA (l'Association générale des étudiants de collège Ahuntsic) n'a pris position par rapport au sommet que le 13 février 2013; l'AGECEM (l'Association générale des étudiant du collège Édouard-Montpetit) n'a, quant à elle, toujours pas pris position. Serait-ce dire, alors, que les voix des 15 000 à 16 000 étudiants membres de l'AGÉCA et de l'AGECEM sont sans valeur aux yeux de la FECQ ?

Transparence, censure et confidentialité


Notre incapacité à déterminer avec exactitude et sans besoin d'analyse la date d'adoption du mandat de gel des frais de scolarité dans une perspective de gratuité scolaire de la part de la FECQ n'est pas sans raison : les procès-verbaux des congrès ordinaires de la fédération sont réservés aux membres. Sur le site web de la FECQ, de simples abrégés des procès verbaux, presque totalement vidés de leurs informations pertinentes, sont disponibles(7). Or, les démarches administratives menant à l'obtention des procès verbaux par les membres sont longues, voire vaines. D'ailleurs, comme l'affirment les 29 signataires d'une lettre ouverte rédigée par des exécutants d'associations étudiantes membres de la FECQ, « les procès verbaux des instances relatant les décisions prises par la fédération ne sont pas publiés depuis novembre 2011, malgré le fait qu'une résolution ait été adoptée pour qu'ils soient publiés »(8).

De plus, tel qu'affirmé par Mme Éliane Laberge, présidente de la FECQ, « les états financiers et les plans de campagne [de la FECQ sont] confidentiels »(9).

Concernant les états financiers, les signataires de la lettre ouverte dénoncent la nébulosité des documents financiers. Ainsi, affirment-ils, « les délégués des associations membres doivent approuver des budgets auxquels ils ne comprennent souvent rien »(8). Ajoutons à ce flagrant manque de clarté la confidentialité des rapports financiers, qui est une aberration en soi : comment les étudiants membres de la FECQ peuvent-ils porter un regard sur l'usage de leurs cotisations étudiantes, alors que les rapports financiers sont confidentiels ? Bref, le contrôle qu'ont les étudiants membres sur le budget de la fédération est réduit à presque rien. Ainsi, la fédération orchestre une déresponsabilisation programmée de sa communauté étudiante, en remettant son contrôle entre les mains de son élite dirigeante.


La FECQ : une machine à images plongée dans le corporatisme


Malgré la confidentialité des rapports financiers de la fédération, le rapport financier daté du 31 mai 2012, contenant les données des années 2011 et 2012, a été, après de longues et fastidieuses recherches, trouvé et analysé. Il ressort, de ce rapport financier, deux particularités aberrantes :
1. La FECQ a connut, sur le plan budgétaire, un déficit de plusieurs milliers de dollars pour les deux dernières années au moins (voir Graphique 1);
2. La FECQ dépense davantage d'argent dans ses relations et interventions publiques que dans le support aux associations étudiantes (voir Graphique 2).



Le Graphique 1 parlant de lui-même, ne nous y attardons pas et analysons en profondeur les données du Graphique 2. En 2011, année relativement calme pour le mouvement étudiant, année ou le mouvement ne connut point de grève ni de troubles politiques, la FECQ dépensa 63 254 $ en relations et interventions publiques. En comparaison, seuls 43 046 $ ont été alloués au support aux associations.

En 2012, les dépenses allouées aux relations et interventions publiques se chiffraient à 152 562 $, alors que celles allouées au support aux associations n'étaient que de 70 838 $(10). Certes, l'année 2012, année de lutte et de grève, a été une année où le besoin de paraître publiquement était énorme. Néanmoins, les dépenses de la FECQ dans les relations et interventions publiques n'en restent pas moins démesurées. En comparaison, la CLASSE (Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante), fortement plus présente, active et militante durant la grève(1), n'aura dépensé, en communications, que 22 469,03 $ pour l'année 2011-2012(11). Notons que la section Communications du rapport financier de la CLASSE regroupe les télécommunications, les conférences de presse, le CNW, le Courrier et le site Internet, et que la FECQ, en télécommunications seulement, a dépensé, en 2012, 20 849 $. Une autre section du rapport financier de la CLASSE, comparable à la section Interventions publiques du rapport financier de la FECQ, s'intitule Tournées et représentation. Dans cette section, 54 845,07 $ furent dépensés. La somme des deux montants cités de la CLASSE est donc de 77 314,10 $(11). Pour la FECQ, la somme des dépenses allouées aux relations et interventions publiques ainsi qu'aux télécommunications pour l'année 2012 est de 173 411 $(10). Le Graphique 3 illustre ces données.



À la lumière de ces chiffres, il apparaît clairement que la FECQ alloue des sommes gargantuesques à son image publique. Une telle obsession pour l'image publique transforme la FECQ en un syndicat corporatiste, faible lutteur et peu combatif. Pourquoi donc être représenté par une association étudiante nationale, si celle-ci accorde plus d'importance à son image publique qu'à ses associations étudiantes membres ?

Cotisations étudiantes - payer pour quoi ?


Présentement, la cotisation étudiante annuelle réclamée par la FECQ est de 5 $. La fédération songe faire doubler cette cotisation, qui deviendrait, si la hausse est adoptée par une majorité d'associations étudiantes selon le vote de double-majorité, 10 $(12). Ainsi, les membres de la FECQ dépensent de l'argent pour être représentés par la fédération et pour en recevoir des services. Or, la fédération, tel que démontré plus haut, représente mal ses membres puisque sont fonctionnement constitue, en soi, un déni de la démocratie étudiante. De plus, les sommes allouées au support aux associations est bien plus petit que la somme des cotisations étudiantes annuelles. 

En effet, la FECQ, en 2012, recueillait de ses membres 237 192 $. Cette même année, elle ne dépensait, en support aux associations, que 70 383 $. En 2011, la sommes des cotisations étudiantes s'élevait à 212 747 $, tandis que les sommes allouées au support aux associations ne se chiffraient qu'à 43 046 $ (voir Graphique 4). Un simple calcul démontre le fait suivant : en 2011, un étudiant investissait 5 $ dans la FECQ pour ne recevoir, en services et en moyenne, qu'environ 0,54 $, soit 10,8 % de sa cotisation; en 2012, l'étudiant ne recevait que 0,88 $, soit 17,6 % de sa cotisation(10), tel que l'illustre le Graphique 5. Ce calcul a été effectué par la division de la somme allouée au support aux associations étudiantes par le nombre approximatif d'étudiants membres de la FECQ, soit 80 000(5).













Bref, la FECQ, qui songe à doubler ses cotisations annuelles, demande à ses membres de payer pour des services qu'ils ne reçoivent que partiellement et pour une représentation politique faible et corporatiste. Pour rajouter l'injure à la farce, « la présidente de [la] FECQ assure que l'augmentation proposée n'a aucun lien avec les coûts de la grève ou avec la situation financière de l'association »(12). La FECQ se moquerait-elle de ses propres membres, voulant leur faire croire que la hausse de la cotisation n'a rien à voir avec les déficits budgétaires qui se cumulent en son sein depuis deux années consécutives (voir Graphique 1) ?

Perspectives d'avenir du mouvement étudiant collégial


Le fonctionnement peu démocratique de la FECQ, ajouté à son manque de transparence et à ses piètres performances budgétaires, gangrènent la fédération et poussent de nombreuses associations étudiantes collégiales à quitter son sein et à opter pour l'indépendance, sinon pour une affiliation à l'ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante). Trois directions sont proposées ici pour une association étudiante collégiale nouvellement désaffiliée.

1. L'indépendance. Une association étudiante peut opter pour l'indépendance. L'indépendance est bénéfique en ce sens que la totalité des cotisations investies par les étudiants retourne en services aux membres. Aussi, l'association étudiante se représente elle-même aux instances supérieures de pouvoir et décide elle-même des orientations qu'elle désire prendre et des positions qu'elle défend selon les enjeux du moment. Certes, l'association indépendante n'est pas unie à un groupe énorme d'étudiants, ce qui réduit son rapport de force. Néanmoins, en temps de crise étudiante, l'association indépendante peut former une coalition temporaire avec d'autres associations indépendantes - la CASSÉÉ et la CLASSE sont des exemples de coalitions temporaires, nées d'une grève et dissoutes une fois grève terminée. Ainsi, le rapport de force est établi lorsque nécessaire, et l'association préserve son entière autonomie dans les moments calmes du mouvement étudiant.

2. L'ASSÉ. Une autre alternative envisageable est une affiliation à l'ASSÉ. L'ASSÉ est une association étudiante nationale qui fonctionne selon des principes de démocratie directe et de combativité syndicale prononcés et marqués. Elle prône la combativité syndicale, la gratuité scolaire, et est écologiste, féministe, de gauche, démocratique et quasi-libertaire(13).

3. Une nouvelle fédération collégiale. Cette dernière perspective est rarement mentionnée, malgré son originalité. Grosso modo, il s'agit de bâtir, sur les ruines de la FECQ, une nouvelles association étudiante nationale et exclusivement collégiale ayant pour assises une charte plus démocratique et plus transparente. La démocratie directe serait au centre de cette charte, ainsi que la non-confidentialité des décisions et la participation démocratique des membres dans les décisions de la fédération, selon les règles du débat. Cette nouvelle fédération aurait les avantages de la FECQ détruite - l'union de dizaines de milliers d'étudiants collégiaux - sans ses innombrables vices et défauts.

Loin de moi l'idée de désigner une route à suivre pour les associations étudiantes nouvelles désaffiliées. Néanmoins, un fait est indéniable : la Fédération étudiante collégiale du Québec ne mérite pas ses membres, et ses membres méritent bien mieux qu'elle.


Bibliographie


1 - Marc-André Cyr. « Grève étudiante : la tragédie, la farce et la FEUQ » [en ligne], Voir, Montréal, 7 mars 2012, adresse URL: bit.ly/yYLOVZ.

2 - S.A., « La FECQ prône le maintient du gel des droits de scolarité » [en ligne], Métro, Montréal, 13 décembre 2012, adresse URL: bit.ly/12w9Qwz.

3 - Émilie Corriveau. « Revendications au sommet - les étudiants visent le gel des droits de scolarité » [en ligne], Le Devoir, Montréal, 9 février 2013, adresse URL: bit.ly/Vduddr.

4 - S.A., Bloquons la hausse, (page consultée le 17 février 2013), Liste des mandats de grève générale illimitée [en ligne], adresse URL: http://bit.ly/YfMGD8.

5 - S.A., FECQ, (page consultée le 17 février 2013), Accueil [en ligne], adresse URL: fecq.org.

6 - S.A., FECQ, (page consultée le 17 février 2013), Structure [en ligne], adresse URL: http://fecq.org/Structure.

7 - S.A., FECQ, (page consultée le 17 février 2013), Procès verbaux 2011 [en ligne], adresse URL: http://fecq.org/Proces-Verbaux-2011.

8 - Christopher Bacon et. al., Une fédération gangrenée [en ligne], adresse URL:  http://fr.scribd.com/doc/114292719/Lettre-ouverte.

9 - Lisa-Marie Gervais. « Vague de désaffiliation à la FECQ » [en ligne], Le Devoir, Montréal, 24 novembre 2012, adresse URL: http://bit.ly/UYWmkm.

10 - Fédération étudiante collégiale du Québec (F.E.C.Q.), Rapport financier, 31 mai 2012.

11 - ASSÉ (CLASSE) - État des résultats année financière 2011-2012.

12 - Philippe Teisceira-Lessard. « La FECQ veut doubler ses cotisations » [en ligne], La Presse, Montréal, 21 novembre 2012, adresse URL: http://bit.ly/UYWmkm.

13 - S.A., ASSÉ, (page consultée le 17 février 2013), Présentation [en ligne], adresse URL: http://www.asse-solidarite.qc.ca/asse/presentation/.

mardi 5 février 2013

Écologie politique - partie 2

Écologisme urbain


La Révolution industrielle provoqua la rupture historique entre l'Homme et la nature : le développement rapide du milieu urbain, ainsi que tous les avantages qu'offrait - et qu'offre encore - ce milieu, ont engendré l'exode rural qui affecta profondément les sociétés occidentales, qui passaient alors d'une économie rurale et autarcique à une économie capitaliste caractérisée par l'interdépendance et la spécialisation des citoyens.

Cet exode urbain accentua l'effet de gouffre subsistant entre les milieux urbain et rural. Ainsi, la ville et la campagne, considérées diamétralement opposées, ne sauraient désormais plus être confondues. Or, le dépassement de la crise écologique demande sans équivoque le dépassement de cette opposition entre urbanisme et ruralité. La ville de demain, celle qui saura offrir à l'humanité tous les avantages de la vie urbaine tout en lui assurant un avenir sain et viable, est une ville où se côtoient les activités rurales et urbaines et où les espaces et les distances sont réduits et amoindris.

Autonomie alimentaire et agriculture urbaine


La ville écologique est d'abord une ville qui permet à ses citoyens de subvenir à leurs besoins primaires sans passer par les échanges nationaux et internationaux. L'autonomie alimentaire, au sein de la ville écologique, se définirait donc comme la capacité des différentes communautés (ou collectivités) habitant la ville de gérer par eux-mêmes leur alimentation (en partie ou totalement).

Il s'agit, pour ce faire, d'encourager l'agriculture urbaine, c'est-à-dire l'essor et le développement de milieu propices à l'agriculture et à l'élevage, mais ce au milieu des centres urbains.

Cependant, l'autonomie alimentaire de centaines de milliers de concitoyens est une tâche qui, d'un point de vue logistique, parait trop lourde pour être réalisable. Ainsi, l'atteinte de l'autonomie alimentaire demande la division du territoire municipal en petits territoires collectifs, regroupant chacun quelques centaines d'individus - séparer la ville selon ses quartiers résidentiels est un moyen potentiel. 

Chaque collectivité aurait donc des espaces d'agriculture et d'élevage, et ces espaces seraient gérés de manière collective et sécurisés de manière collective. Ainsi, les milieux urbains sauraient subvenir davantage à leurs besoins primaires nutritionnels. De ce fait, la pollution liée au transport des aliments à l'échelle nationale et internationale diminuerait, et la ville urbaine développerait en son sein un milieu rural propre, écologique et naturel. La ville verte s'installe donc.

D'ailleurs, l'autonomie alimentaire conscientise le citoyen sur sa consommation, et de ce fait diminue drastiquement le gaspillage inconscient et la surconsommation malsaine. Néanmoins, que l'on se comprenne bien : il ne s'agit pas ici d'introduire dans la ville un milieu rural entier, et de transformer les citadins en agriculteurs; simplement de diminuer la dépendance de la ville envers la campagne. Il est admis que les citadins ne peuvent entièrement subvenir à leurs besoins de façon autonome, vu leur grand nombre et le manque de temps pour le travail de la terre : il n'est cependant pas admis que le milieu urbain doit totalement dépendre du milieu rural et de l'industrie agro-alimentaire pour vivre. L'industrie agro-alimentaire doit donc être décentralisée vers les collectivités, qui assureront, selon des principes démocratiques d'autogestion, son développement et sa production alimentaire.

Ajoutons que l'autonomie alimentaire s'effectue également à l'échelle familiale : serait donc encouragé le développement du potager familial, qui accorde à la famille une certaine autonomie dans sa consommation de fruits et de légumes.

Aménagement urbain


Un autre facteur de pollution né de la nature même de nos villes est l’aménagement urbain. Dans une ville éclatée, grande et distante, l'usage de l'automobile est nécessaire pour la majorité des citoyens. Or, il est inadmissible que l'humain dépende d'un objet qui met en jeu sa survie même. Ainsi, la ville écologique se doit de permettre à ses habitants de vivre en son sein sans que l'usage de la voiture ne soit nécessaire. Autrement dit, la ville écologique est petite. Par petite, nous n'entendons pas de petite superficie, mais de petites distances : les points centraux de la ville verte - autrement dit : l'épicerie, l'école, le travail et les lieux de loisirs - doivent être tant rapprochés que l'usage de la voiture devient désuet, vu les distances minimales. La ville écologique est donc aménagée selon une tout autre dynamique : elle n'est plus le reflet d'une humanité qui ne connait point de limites, mais reflète plutôt la finitude de la nature et les limites qu'impose ladite nature à l'humanité.

Ceci dit, il va de soi que l'usage du transport rapide offre trop d'avantages pour être mis entièrement de côté. Pour concilier, donc, les grandes distances, la rapidité et la protection de l'environnement, la ville verte encourage fortement l'usage de moyens de transports alternatifs. Ainsi, un véritable réseau de pistes cyclables, d'autobus électriques, de tramways, de métros et de trains électriques doit être mis en place. La gratuité de tous ces transports est également nécessaire. Ainsi, l'Homme ne considérerait plus le transport comme une consommation, un bien commercialisable, mais comme un droit autant qu'un devoir : une droit fondamental de circulation; un devoir de responsabilité dans sa circulation envers l'humanité entière et la nature.

Autrement dit, le réseau des transports en communs doit être perfectionné, diversifié et gratuit de façon à ce que le transport ne soit plus une question individuelle, réduite au citoyen et à sa voiture, mais devienne une question sociale, ainsi qu'une propriété collective, un bien commun parfaitement abordable.

L'État : frein au développement écologique de la ville verte


En résumé, la ville écologique est une ville : qui permet à ses citadins de concilier urbanisme et ruralité, menant la communauté urbaine à davantage d'autonomie alimentaire; qui est réduite en distances, ne rendant plus nécessaire l'usage des transports rapides; qui offre un réseau cohérent, solide et abordable de transports en commun verts et gratuits.

Néanmoins, les principes d'autogestion qui s'y accordent se heurtent aux fondements même de la théorie de l'État, de la démocratie représentative et du capitalisme. L'économie capitaliste, basée sur les échanges de biens commercialisables et sur la perpétuation du principe de gouvernance entre le chef d'entreprise et les ouvriers, ne survit point à un système décentralisé, anticonsumériste et convivial. L'État, pour sa part, est de nature centralisée; or, la ville verte en est une qui offre une multitude de pouvoirs aux citoyens. D'abord pour défendre l'économie qui le soutient, ensuite pour défendre ses pouvoirs, l'État sera un frein au développement de cette ville verte. Finalement, la démocratie représentative, qui est au 
cœur même de l'État, est née du désir de la société de séparer la question politique de la question sociale pour se concentrer sur sa condition sociale sans se soucier de son rôle politique. 

Les fondateurs et les penseurs de la démocratie représentative rêvaient d'un système où le citoyen n'aurait point à se préoccuper de la question politique. Dans ce système, l'État devait être impartial et garantir une liberté à tous : celle de participer à la vie économique, de consommer, de vendre et d'acheter, bref de s'émanciper en tant que citoyen, selon la définition capitaliste de l'émancipation citoyenne. Or, la résolution de la crise écologique ne peut être réalisée sans la naissance d'un débat citoyen collectif et sans la prise en charge collective de notre avenir. Exit, donc, les élus qui parlent en notre nom et qui nous représentent dans le phénomène politique. Un dépassement de la société étatique et capitaliste est donc nécessaire à la résolution de la crise écologique et, parallèlement, à la survie de l'humanité toute entière.

dimanche 6 janvier 2013

Religion et détresse humaine - critique du lien établi par Karl Marx


Stoïcisme et déterminisme

Le stoïcisme, une philosophie du bonheur et de l'art de vivre née en 300 av. J.-C. en Grèce ancienne, inspira ce qui deviendra par après le déterminisme, courant bien apprécié des clergés religieux, qui stipule que l'avenir des êtres est tracé, prédéfini, et que la seule liberté que possède l'humain est sa réaction émotionnelle vis-à-vis son destin. L'être humain n'aurait, dès sa naissance, aucune liberté d'action, attendu que sa vie, au grand complet, serait déjà tracée.

Deux millénaires après la naissance du stoïcisme vint un philosophe allemand pour le critiquer vertement : Karl Marx, penseur communiste du XIXe siècle, liait alors la religion et la détresse humaine, affirmant que l'émancipation des peuples nécessitait l'abandon de Dieu. 


Le déterminisme religieux : arme philosophique d'un clergé autoritaire

La chute des systèmes féodaux européens accabla l’Europe d’un libertarianisme économique socialement désastreux : une minorité économique contrôlait une masse prolétaire, qu'elle maintenait dans la pauvreté et dans l’ignorance. Entassé dans la cité, affamé, endetté, le prolétariat subit sa souffrance, son désespoir, sans piper mot. C’est, en bref, les temps de la Révolution industrielle et de ses injustices.

Durant cette transition de la dictature féodale à la dictature bourgeoise, le clergé catholique gardait mainmise sur la population. Celle-ci, vivant dans sa misère, tentait vainement de s'accrocher à quelque aide qui soit, fut-elle symbolique. C'est ainsi que l'Église profitait du prolétariat, en régissant le peuple, lui faisant croire que sa misère était voulue par Dieu, déterminée à l'avance, tracée par le destin - et que combattre le destin était utopique. De plus, l'Église profitait de l'ignorance du peuple, de son manque d'éducation : peu éduqué, l'esprit critique du peuple est inexistant; il devient facile aux hommes de pouvoir et d'Église d'imposer au peuple une vision faussée du monde. L'éducation ne faisant pas partie intégrante de la vie de la population, cette entité religieuse arrivait donc à appliquer son pouvoir en totalité, sans être inquiétée par une quelconque forme de protestation. 

Reposait ici toute la stratégie cléricale et politique :
1. Convaincre le peuple que sa misère est voulue par Dieu et que rien ne sert de la combattre;
2. Le peuple, pauvre et misérable, n'a aucunement les moyens financiers pour s'éduquer et pour éduquer ses enfants;
3.1 Le peuple, peu éduquée, ne conçoit pas une philosophie de vie différente qui redonnerait à l'Homme sa liberté totale, brisant l'idéologie déterministe d'un destin prédéfini;
3.2 L'esprit critique du peuple face aux jeux de pouvoir du clergé est absent;
4. Aucune opposition intellectuelle pouvant menacer le clergé et le pouvoir politique établi, ceux-ci ne sont pas inquiétés.

En ce sens, le lien établi par Marx entre la religion et la détresse humaine est presque parfaitement légitime. 


Luttes syndicales, progrès social et laïcisation

Suite à d'importantes réformes sociales, le prolétariat gagna en respect humain et son niveau de vie augmenta considérablement. Le peuple, aujourd'hui, est instruit, éduqué, respecté et certainement plus riche qu'il ne l'était au cours des derniers siècles. Ce faisant, il a, via son éducation, développé un esprit critique aiguisé. Cet esprit critique, ce sens de l'évaluation, lui permet de déterminer indépendamment ce qui est bon pour lui, puis ce qui ne l'est pas. Ainsi, tant les gouvernements que les institutions religieuses perdirent, au cours de ce progrès, la mainmise sur le peuple souverain. Dieu ne suffisant plus aux hommes, ces derniers cherchèrent des réponses à leurs questionnements à travers d'autres horizons - la science, la recherche, les preuves indéniables. Bref, sorti de la détresse, le peuple abandonna l'Église. Éduqué, il abandonna cette idée préconçue d'un ordre voulu par Dieu, abandonna ces croyances populaires affirmant que rien ne s'explique autrement que par Dieu : le peuple se laïcise, expulsant de son avenir politique l'Église étouffante et, du même coup, sans toujours le savoir, assassine le déterminisme pour laisser grandir l'existentialisme.

La philosophie existentialiste, à l'inverse du déterminisme, nie toute ingérence divine dans l'avenir des êtres. Le destin n'y a donc pas sa place, et l'humain est entièrement libre de devenir ce qu'il désire être. La misère, ainsi, n'est plus voulue par Dieu, mais n'est que le désir des dirigeants.


L'erreur de Marx

Toutefois, si l'Église perd une part effarante de son rôle dans la société, le divin, lui, ne connait pas un tel recul. En effet, les peuples éduqués abandonnent moins la foi en Dieu que celle en l'Église. En d'autres termes, l'Église perd son pouvoir, vu que la masse populaire ne croit plus en l'institutionnalisation de la foi; la masse populaire croit en la foi de manière autonome, individuelle. Bref, le peuple se laïcise énormément, mais adopte bien moins l'athéisme que l'on ne pourrait le croire.

Face à une science effrayante, énorme, et face à un univers infiniment complexe, l'Homme ne peut concevoir que le hasard suffise à expliquer le monde qui l'entoure. Ce faisant, l'Homme garde la foi. Il croit en un être Tout-puissant, mais refuse d'accorder cette puissance à une institution étatique, à d'autres hommes en soutane prêchant la bonne conscience. Ainsi, nombreux Québécois affirment être catholiques, affirment croire en Dieu, mais rajoutent par la suite qu'ils ne croient pas en l'Église. En d'autres termes, comme dit le dicton : peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science nous y ramène.

Grosso modo, la religion est séparée de son organe politique pour redevenir ce qu'elle était à ses débuts : la foi en Dieu, sans faux-semblants, sans dogmatisme, sans déterminisme absurde, sans pouvoirs politiques, sans autoritarisme. Le phénomène religieux et le politique, confondus par l'institution politique qu'est l'Église, sont dissociés.

L'erreur de Marx est toute là : plutôt que de lier religion et détresse humaine, celui-ci aurait dû lier institutionnalisation de la religion et détresse humaine. En d'autres termes, un lien entre clergé politique et misère aurait été plus juste. 


Histoire religieuse de la Grèce ancienne

L'histoire de la Grèce ancienne nous apprend, au déplaisir des fervents athées, que la religion n'est aucunement incompatible avec l'émancipation intellectuelle. En effet, la mythologie grecque, bien présente aux temps des grands philosophes grecs, n'a point empêché l'essor de la philosophie. À l'inverse, les religions monothéistes, au cours de l'Histoire, ont souvent été un frein au discours intellectuel, réduisant tout effort du peuple de sortir du dogmatisme religieux pour questionner scientifiquement le monde. Comment expliquer cette contradiction historique ?

La mythologie grecque avait cela de particulier qu'elle n'était aucunement institutionnalisée : aucun clergé n'existait en Grèce ancienne pour dicter la foi aux croyants. Le peuple était libre de croire à sa manière, et la foi était libre et ouverte. Cette absence du clergé empêchait donc la présence du dogmatisme religieux : il n'y avait point de vérités absolues, vu qu'il n'existait aucun organe politique et religieux pour les imposer. 

Cette absence du clergé laissait donc place au questionnement de la foi et à l'adaptation de la foi aux progrès scientifiques et intellectuels. 

Malheureusement, les religions monothéistes ont toutes trois été salement institutionnalisées, perdant leur beauté pour devenir de vulgaires armes politiques et intellectuelles. Ainsi, le phénomène religieux n'est point à blâmer pour le frein à tout essor intellectuel au cours du Moyen-âge : le véritable coupable est, encore une fois, le phénomène politique, devenu autoritaire par son goût du pouvoir.


Anarchisme religieux et décentralisation du clergé

Pour redonner à la religion ses lettres de noblesse, démanteler l'organe politique qu'elle est devenue est un pas décisif. Il s'agit en fait d'une décentralisation des pouvoirs, réduisant la pratique religieuse à la relation fondamentale liant le croyant à son église et l'individu à son prêtre.

Le démantèlement du clergé redonnerait également aux prêtres et aux églises leur liberté totale, faisant de chaque établissement religieux un lieu de prière indépendant ainsi qu'un lieu de réflexion entre les prêtres et les croyants sur le monde, sur Dieu, sur la religion. L'église deviendrait ainsi une école de théologie (la théologie est la science de la religion) enseignant aux gens l'art de vivre, sans imposer une quelconque vérité absolue aux adeptes.

En d'autres mots, il s'agit de mettre un terme au réseau énorme formé par les hommes religieux; de mettre un terme à l'autorité politique du Vatican, par exemple, pour remettre cette autorité entre les mains des prêtres et des croyants, qui sont les acteurs premiers du phénomène religieux. L'objectif global visé est donc l'autogestion des églises et des lieux de prière.

Ainsi seraient réaffirmés le lien ultime entre Dieu et chaque individu et le lien ultime entre Dieu et tous les humains, pris ensemble. Sortir le politique du religieux, c'est enlever au monde religieux sa soif de pouvoir et son penchant autoritaire.


Une réponse au problème soulevé par Karl Marx

L'émancipation des peuples ne passe par nécessairement par l'abandon de Dieu, mais par le démantèlement des clergés religieux, toutes religions confondues. Faire du phénomène religieux un pouvoir politique a largement fait oublier aux hommes religieux leur rôle fondamental pour les transformer en une arme politique. Car tout être qui goûte au pouvoir s'y plait et s'y accroche, il ne faut laisser aucun être goûter ce mal absolu.

Des religions de liberté et d'amour, voilà ce que sont, à la base, les religions monothéistes. Redonnons à ces religions leur noblesse, leur beauté et leur pureté.