L'ignoble Charte
Il y a une différence entre
pratiquer une religion et porter un symbole religieux. L'État doit être laïc,
pas le peuple : l’hypocrisie dudit
État, qui affirme honteusement que ses travailleurs le représentent, est
d'ailleurs maximale, considérant que l'État est loin d'être le peuple et de le
servir.
Le cas de la femme musulmane voilée
Cette loi, de plus, prive la
femme musulmane voilée de bien d'emplois. Or, la femme ne s'émancipe que dans
la production sociale ou économique - cela est d'autant plus vrai dans le
capitalisme. Si on vise une égalité entre hommes et femmes, on prive la femme
musulmane voilée de cette égalité en la rejetant de la fonction publique, des
écoles, des hôpitaux. Ce faisant, soit on l'aliène à sa famille et à son mari,
desquels elle dépend, étant pauvre, étant chômeuse, soit on l’encourage à
chercher un travail ailleurs : au mieux, là où la fonction publique est privatisée;
au pire, au bas de l’échelle sociale, au salaire minimum au sein d’une
entreprise. Ainsi, cette charte révèle deux ignobles aspects : d’abord,
elle est fondamentalement sexiste; ensuite, elle encourage la privatisation des
services publics. Le résultat de cette privatisation est d’autant plus grave
que la femme voilée se dirigera probablement, pour fuir la xénophobie, vers une
école confessionnelle, donc vers la ghettoïsation, vers l’exclusion sociale,
jetant dans l’abîme toute chance d’intégration sociale. Notons qu'il n'est pas
facile pour une femme voilée de simplement retirer son voile. Parfois, il
s'agit de contraintes familiales qui l'obligent à le porter; parfois, c'est le
dogmatisme religieux qui ne s'efface pas - et le dogmatisme est une plaie
mortelle dont on ne guérit pas en un instant. Parfois aussi, le port du voile
n'est qu'un choix.
Ghettoïsation des minorités ethniques
Aussi, sur le plan de
l’intégration des minorités ethniques, cette charte est un poison mortel. Les
croyants issus des minorités ethniques, plutôt que de désirer s’intégrer à la
société québécoise (car ce désir s’apprend après l’immigration, non pas avant),
risquent fort de se replier sur eux-mêmes, se sentant, par une telle charte,
attaqués et exclus de la société, pointés du doigt car différents. Tant sur le
plan pratique que théorique, l’immigrant sera exclu ou cherchera à s’exclure.
Son exclusion l’entrainera dans des institutions privées, telles des écoles
musulmanes ou juives, des hôpitaux privés, des garderies confessionnelles, etc.
Cette charte, plutôt que d’encourager l’intégration des minorités ethniques,
provoque leur ghettoïsation et encourage la privatisation confessionnelle des
institutions québécoises publiques et laïques. Par exemple, l’enseignante voilée,
plutôt que de retirer son voile ira enseigner dans une école musulmane. Le cas
s’applique également à un juif portant la kippa.
Le nationalisme, cette fiction bourgeoise
En ce qui a trait à la
laïcité, elle est ici poussée à outrance et comporte des dérives parfaitement
fascistes. Il y a le « nous » : Québécois de souche, laïcs et majoritairement
athées; le « eux » : minorités ethniques fortement religieuses. En divisant le
peuple québécois selon son appartenance ethnique, on divise mieux encore les
classes populaires et prolétaires dans une optique de contrôle des masses. En
gros : diviser le peuple pour mieux régner. En portant à outrance cette
glorification de la nation québécoise, on atteint un des critères fondamentaux
de la pensée fasciste : le nationalisme.
Sur le nationalisme,
rappelons que les pays sont une fiction qui n'existe que dans l'imaginaire : un
pays n’existe que si, collectivement, de gré ou de force, on reconnait qu'il y
a ici, dans ces frontières, ledit pays. Matériellement, il n'y a pas de
frontières ni de pays : que le peuple et sa terre. Le terme de nation, apparu
avec la Révolution industrielle, est une fabulation bourgeoise voulant contrer
l'internationalisme prolétaire. La nation donne l'illusion que les prolétaires
de tel pays ont mieux à faire avec leur bourgeoisie nationale qui les appauvrit
et leur État qui les domine, qu'avec les prolétaires des pays voisins. À
l’inverse, les classes dirigeantes et bourgeoises ignorent complètement les
frontières : les Américains et les Arabes commercent ensemble, les Israéliens
et les Arabes également, tout comme le monde capitaliste avec la Chine, les
États-Unis avec la Russie, etc. Le nationalisme est donc une vulgaire fiction
bourgeoise pour asservir le peuple, et la glorification de la nation québécoise
et des valeurs québécoises via la charte péquiste est une énième stratégie
bourgeoise et étatiste pour diviser les masses.
« En France, c'est en 89
que l'idée de la Patrie - avec celle de la loi - se révéla dans toute sa
puissance. Ce fut l'idée géniale de la bourgeoisie, de substituer l'autorité de
la nation à celle du droit divin, de la faire envisager aux travailleurs comme
une synthèse de tous les droits et de les amener à défendre le nouvel ordre de
choses, en leur donnant la croyance qu'ils luttaient pour la défense de leurs
propres droits ! »
Jean Grave, dans La société mourante et l'anarchie,
1892, accuse la bourgeoisie d’avoir profité de la Révolution française pour
évincer la noblesse et prendre le pouvoir. Cette noblesse, affirme-t-il, se
proclamait du droit divin, c’est-à-dire qu’elle légitimait son
autorité sur le peuple par une fictive volonté divine. Donc, la
bourgeoisie, en détrônant la noblesse, dut remplacer le droit divin, qui
maintenait les masses sous le joug des dirigeants, par un nouveau droit : celui
de la nation, qui faisait des riches et des pauvres, des opprimés et des
oppresseurs, une même famille, et qui divisait en différentes familles les
pauvres de différents pays, les opprimés de différents pays. Ainsi, la
bourgeoisie nouvellement dirigeante fut apte à légitimer son
pouvoir : c’est par elle, et par l’unité nationale la reliant aux
travailleurs, que la nation est défendue et protégée.
Le travailleur n'est pas l'État
Les radicaux laïcs affirment
que le travailleur ou la travailleuse de la fonction publique représente
l’État. Ainsi, l’État étant laïc, ses représentants se doivent de l’être
également. Or, un regard critique sur la situation politique montre que rien
n’est plus faux. Pour qu’un être représente l’État, il doit avoir sur lui un
certain pouvoir, en faire partie. Néanmoins, la classe prolétaire et la classe
moyenne n’ont aucun pouvoir politique, outre un vote tous les quatre ans.
L’État applique sinon ses lois, décidées par 125 élus, pantins de la grande
bourgeoisie. Cette dernière, et sa classe politique, sont les seules
représentantes de l’État, puisqu’elles ont pouvoir sur lui.
Laïcité ouverte
Finalement, cette charte
s'oppose à la laïcité, qui impose au gouvernement une non-intervention dans la
vie religieuse des citoyens. Or, empêcher le port d'un symbole religieux par
un-e travailleur-se est une intrusion étatique dans la vie religieuse et, pire
encore, une limitation de l'expression de l'individualité de chacun. Ainsi, la laïcité ouverte s'oppose à cette charte, qui
bafoue les libertés religieuses des citoyens en imposant l'anti-religion de
l'État, la laïcité, qui prend elle-même les formes d'une religion d'État,
imposée à tous au mépris des libertés individuelles et collectives. Néanmoins,
nos adversaires affirmeront que le travailleur de la fonction publique,
contrairement aux autres travailleurs, ne doit pas exprimer publiquement ses
appartenances religieuses par souci de neutralité de l'État. Or, affirmer cela
revient à affirmer que le travailleur de la fonction publique n'a pas les mêmes
droits fondamentaux que le citoyen ordinaire; qu'il est légitime de bafouer les
libertés des travailleurs de la fonction publique au nom de la neutralité de
l'État; bref, qu'un travailleur de la fonction publique n'est pas considéré
comme les autres citoyens et qu'il doit subir, lui, un traitement spécial et
liberticide.
L'État doit être laïc, pas le peuple : et la démocratie représentative,
dictature déguisée, ne fait pas du peuple l'État. Dire aux travailleurs-ses
qu'ils-elles représentent l'État est d'une intense hypocrisie. Si je
représentais l'État, j'aurais droit de regard et de décision sur les lois et
sur les traités qui me concernent. Or, ce droit de regard et de décision n'est
accordé qu'à une poignée d'élus inutiles financés et dirigés par une grande
bourgeoisie capitaliste sans moralité.
L'État doit être laïc, pas le peuple : et la démocratie représentative, dictature déguisée, ne fait pas du peuple l'État. Dire aux travailleurs-ses qu'ils-elles représentent l'État est d'une intense hypocrisie. Si je représentais l'État, j'aurais droit de regard et de décision sur les lois et sur les traités qui me concernent. Or, ce droit de regard et de décision n'est accordé qu'à une poignée d'élus inutiles financés et dirigés par une grande bourgeoisie capitaliste sans moralité.