mercredi 11 septembre 2013

Propagande médiatique et démocratie



L'opinion publique est manipulée par les médias de masse, qui l'orientent vers une direction politique choisie. Ce faisant, le réel débat politique dans le monde démocratique est inexistant : les alternatives électorales qui s'offrent à nous sont toutes les mêmes, et, malgré des détails différents, le projet politique global de tous les partis présentés comme aptes à diriger le pays ne varie presque pas.

Les grands axes de la direction politique diffusée : capitalisme et étatisme


Ce projet, cette direction politique, s'oriente sur un grand axe et, parfois, sur un second. Le premier, nécessaire, est le capitalisme, le libre-marché, le néo-libéralisme. Tous les médias de masse défendent le capitalisme, et les quelques chroniqueurs dissidents ne s'éloignent jamais trop loin de la ligne directrice.

Par exemple, certains chroniqueurs de gauche peuvent critiquer la hausse des frais de scolarité. Toutefois, aucune critique globale du capitalisme n'est lue ou entendue dans un média de masse.

Le second axe est l'étatisme. La plupart des médias de masse encouragent l'idéologie de l'État (l'étatisme, qui s'oppose à l'anarchisme, est la doctrine faisant la promotion de l'État comme nécessité en politique et comme vecteur de changement politique), car ce dernier est souvent l'appui par excellence de la grande bourgeoisie. En effet, l'État, pour survivre, a besoin d'une bourgeoisie qui le soutienne économiquement. Dans les dictatures, cette bourgeoisie lui fournit les armes : le cas de l'U.R.S.S. est parlant, où la bourgeoisie créée par le gouvernement quelques ans suivant la Révolution armait la police et, surtout, l'armée rouge, forces politiques nécessaires au maintien du pouvoir en place. Dans les démocraties, elle assure au gouvernement une réélection ou décide de sa perte politique : il suffit qu'un média de masse décide de glorifier ou de rabaisser un parti et les intentions de vote changent totalement, attendu que la majorité des Québécois-es ne s'informent que très peu de la politique, n'ont jamais lu ni plateforme électorale, ni parti politique et ne se fient, pour voter, qu'aux discours, au Débat des chefs, aux analyses des ''experts'', qui ne sont que les experts invités par le média, sinon d simples chroniqueurs.

Quelques médias n'encouragent pas l'étatisme : ceux-là se disent libertariens et prônent la suppression de l'État pour laisser le libre-marché dominer. N'empêche, ces grands médias libertariens appuient toute mesure capitaliste de l'État et condamnent toute mesure progressiste. C'est le cas, par exemple, de Radio X, qui s'insurge contre la hausse des impôts des riches, mais encourage la hausse des frais de scolarité.

Médias bourgeois et modèle de propagande


Ceci dit, il faut encore prouver que les médias appartiennent réellement à la grande bourgeoisie. Pour ce faire, disons-le d'emblée, je m'inspire de cette source-ci : CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. La fabrication du consentement, Marseille, Agone, 2009, 4e éd., 669 p.

Dans cet essai, Chomsky et Herman dressent un modèle de propagande orienté sur cinq filtres :
  • ·         taille, actionnariat, orientation lucrative;
  • ·         la régulation par la publicité;
  • ·         les sources d'informations;
  • ·         contre-feux et autres moyens de pression;
  • ·         anti-communisme.

Pour alléger le texte, je ne développerai que les deux premiers points. Note : la première édition du livre date de 1988. Avec le temps, l'anti-communisme est devenu l'anti-terrorisme.

1er filtre : taille, actionnariat, orientation lucrative


Les auteurs affirment que le premier filtre épure le milieu médiatique, en l'offrant entièrement à la bourgeoisie. Cette épuration est expliquée par l'explosion des coûts et investissements nécessaires au bon fonctionnement d'un journal national à grand tirage. Ainsi, à New York, en 1851, le coût de lancement d'un nouveau journal s'élevait à 69 000 $. En 1872, le St. Louis Democrat est acquis pour 460 000 $ aux enchères. Dans les années 1920, les journaux new-yorkais se cédaient entre six et dix-huit millions de dollars. À propos de la machinerie nécessaire, les coûts se chiffraient à des centaines de milliers de dollars et ce, même pour un journal à faible tirage. Ainsi, l'accès à la propriété d'un média fut graduellement limité par les coûts. Pour avoir droit à cet accès, il faut aujourd'hui disposer de moyens financiers considérables, faute de quoi le média est condamné à être marginal, à faible tirage et local.

2e filtre : la régulation par la publicité


« Commentant au milieu du XIXe siècle les avantages du libre-échange comme mode de contrôle des opinions dissidents, le très libéral ministre des Finances britannique sir George Lewis faisait valoir que le marché privilégierait naturellement les journaux ''jouissant de la faveur du public et de la publicité''. La publicité allait en effet devenir un puissant mécanisme de sape de la presse de la classe ouvrière. Curran et Seaton donnent le même statut à sa croissance qu'à celle des coûts de production parmi les facteurs expliquant que le marché air réussi là où les taxes et le harcèlement avaient échoué : ''Les publicitaires acquirent de facto un droit de veto sur les journaux, dès lors que, sans leur appui, ceux-ci cessaient d'être économiquement viables.''» (pp. 46-47)

En fait, avant l'apparition de la publicité dans le milieu médiatique, « les coûts de production devaient être couverts par le prix de vente. » (p. 47) Or, lorsque la publicité fit son apparition, les médias qui bénéficiaient de son appui pouvaient se permettre de vendre leur produit à perte, compensant les coûts de production par les revenus engendrés via la publicité. Ainsi, les médias faisant appel aux publicitaires offraient un produit nettement moins cher : la concurrence fit tranquillement disparaitre de la scène nationale tout média désireux de garder son indépendance totale, puisque celui-ci cessait de facto d'être concurrentiel.

Or, les publicitaires ne sont pas attirés par la presse anticapitaliste pour deux raisons : d'abord parce que le lectorat de cette presse est prolétaire, pauvre et consomme peu - à ce sujet, un cadre de la publicité affirmait, en 1856, sur la presse anticapitaliste : « Leurs lecteurs n'achètent rien, et toute somme qui leur est consacrée est autant d'argent jeté par la fenêtre. » (p. 48); ensuite, parce que la presse anticapitaliste présente des idéologies ennemis aux intérêts marchands des publicitaires. À propos de la discrimination subie par la presse radicale, Chomsky et Herman écrivent : « bien des entreprises refusent en outre de subventionner des ennemis idéologiques ou veux qu'ils perçoivent comme nuisant à leurs intérêts, et des cas de discrimination ouverte viennent s'ajouter à l'élection censitaire. En 1985, les studios TV WNET perdirent leurs crédits de Gulf + Western suite à la diffusion du documentaire Hungry for Profit, qui critiquait les activités des multinationales dans le tiers-monde. Avant même la diffusion du programme, anticipant la réaction des industriels, les responsables de la chaîne affirmait avoir ''fait le maximum pour aseptiser le documentaire''.La direction du Gulf + Western se plaignit néanmoins auprès de la chaîne de ce que le programme étaient (sic) ''violemment antibusiness, voire anti-américain'', et que la programmation d'un tel documentaire n'était pas le genre d'attitude que la firme attendait de ses ''amis''. Le London Economist conclut laconiquement : ''Il semble clair désormais que WNET ne fera pas la même erreur une deuxième    fois.'' » (p. 51) Pire encore, certains publicitaires ne cachent pas leur discrimination : ainsi, le directeur de la communication d'entreprise de General Electric déclarait : « Nous entendons privilégier une programmation dont l'esprit vienne renforcer nos messages d'entreprise ». Finalement, les auteurs affirment que les annonceurs et les publicitaires « soutiendront rarement des programmes mettant en cause les pratiques de l'industrie, comme les problèmes de dégradation de l'environnement, les activités du complexe militaro-industriel ou le soutien aux pires dictatures du tiers-monde et les substantiels bénéfices qui en sont tirés par le monde des affaires. » (p. 51)

Le survol du modèle de propagande dressé par Chomsky et Herman prouve que les grands médias et, plus principalement, les dirigeants et les actionnaires de ces grands médias, sont intéressés à diffuser largement une idéologie capitaliste. Les opinions politiques dissidentes n'apparaissent pas dans les médias de masse, d'abord parce que ceux qui les possèdent rejettent absolument l'anticapitalisme, qui s'élève contre leurs intérêts de classe bourgeoise; ensuite par les publicitaires, par qui le média est concurrentiel, donc économiquement viable, perçoivent la presse anticapitaliste comme une ennemie idéologique.

Propagande médiatique et réorientation de l’opinion publique


Cet intérêt constant de l’appareil médiatique à promouvoir le capitalisme biaise l'opinion publique, qui devient parfaitement orientée. Le média n'est pas neutre, mais biaisé par ses intérêts de classe. Ainsi, toute idée politique, tout mouvement politique et tout parti politique sensiblement trop à gauche est diabolisé par les médias de masse, duquel ledit média dresse un portrait sombre est noir. Ainsi, l'ASSÉ apparait comme un regroupement d'extrémistes radicaux, Québec Solidaire comme un parti inapte à diriger un pays et le marxisme et l'anarchisme comme des idéologies dangereuses et tout à fait condamnables.

Une fois l'opinion publique réorientée, tout le système politique en devient faussé. Comment, en effet, peut-on affirmer notre démocratie comme étant réellement démocratique, alors que ceux qui contrôlent l'opinion publique sont parfaitement biaisés et décident, au final, non pas de l'issue exacte d'une élection, mais de l'issue idéologique, c'est-à-dire que le projet politique qui sera porté au pouvoir est rarement un réel projet de gauche.

La réforme du Nouveau Parti Démocratique


Un exemple flagrant des conséquences de ce modèle entache le NPD. Ce parti, toujours considéré comme marginal et inapte à prendre le pouvoir, ne récoltait traditionnellement que peu de votes. Or, aux dernières élections, le ras-le-bol généralisé des Québécois-es l'a porté à l'opposition. Dès lors, le NPD est devenu un parti, pour reprendre l'expression de Pierre Bourgault, « respectable ». Or, pour préserver cette image et pour avoir une chance de gouverner, le parti doit faire des médias canadiens de masse non pas ses ennemis, mais ses alliés - faute de quoi, le monde médiatique dresse la population contre le parti et ce dernier retourne au banc des marginaux. Pour ce faire, lors de son dernier congrès, le parti réoriente totalement sa vision politique : il efface toute mention du socialisme de son programme, se distancie des syndicats canadiens et quitte la gauche pour œuvrer au centre. Ce faisant, il maintient sa « respectabilité » auprès des médias et préserve ses chances d'accession au pouvoir.

L’efficacité du modèle de propagande : la Commission Creel, 1917


Maintenant, afin de parfaire mes propos, je me dois de prouver un dernier point : que les stratégies propagandistes des médias fonctionnent et font effet. Pour ce faire, reculons dans l'histoire des États-Unis.

En 1916, aux États-Unis, le président Woodrow Wilson vient d'être réélu. Au centre de la campagne électoral apparait le thème de la guerre, qui fait rage en Europe. Wilson, pour sa part, avait promis au peuple américain que le pays n'interviendrait pas dans cette guerre. Cette promesse le mit au pouvoir.

Or, un an plus tard, l'entrée en guerre des États-Unis est décidée. Il faut donc convaincre la population américaine, majoritairement opposée à la guerre, de cette nécessité de prendre les armes. Pour ce faire, le gouvernement met sur pied la Committee on Public Information, aussi connue sous le nom de Commission Creel, du nom du journaliste qui la dirige : George Creel.

Normand Baillargeon, à propos de la Commission Creel, écrit : « En quelques mois, elle mobilisera tous les moyens possibles (radio, presse, télégraphe, affiches, notamment) pour faire changer d’avis l’opinion publique. Parmi ses innovations, ceux qu’on appellera les «four minute men», des personnages souvent connus de leur milieu (le médecin, l’avocat, l’instituteur) qui prononcent en public des discours de quatre minutes pour aviver la ferveur martiale. Il se prononcera, estime-t-on, plus de 7 millions de ces discours durant le travail de la commission Creel, laquelle connaîtra un immense succès et permettra aux États-Unis d’entrer en guerre. Hitler attribuera en partie la défaite de l’Allemagne à l’efficacité de la propagande américaine et n’oubliera pas la leçon le moment venu. Il ne sera pas le seul. » (BAILLARGEON, Normand. « La commission Creel et le viol des foules », Le Voir, Montréal, 8 novembre 2012, [s.v.n.n.n.p.].)

La dissidence en monde médiatique


Pour conclure, le modèle de propagande fixe les limites de l'acceptable en matière de programmation médiatique. Ainsi, affirmer que les médias parlent à l'unisson est aussi faux qu'affirmer qu'ils sont neutres et impartiaux. Toutefois, le journaliste, lui, parvient toute de même à préserver son image d'indépendance. Or, indépendance du journaliste n'est pas totale, puisque celui-ci évolue dans un monde où les limites lui sont imposées. Ainsi, un journaliste peut remettre en cause les moyens employés par les gouvernants, mais rarement les idéologies qui cachent les projets desdits gouvernants. À propos de la dissidence du journaliste, Chomsky et Herman relatent la critique de l'intervention américaine au Nicaragua, en 1987, effectuée par Tom Wicker. Ce dernier écrivait : « Quelle que puisse être leur doctrine, les États-Unis n'ont aucun droit, historique ou divin, d'imposer la démocratie aux autres nations, objectif qui ne justifie en rien qu'ils renversent les gouvernements qui leur déplaisent. » (CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. Op. cit., p.19).

Ici, Wicker critique les moyens mis en oeuvre par le gouvernement américain pour faire fleurir la démocratie ailleurs dans le monde. Toutefois, le journaliste ne met pas en doute l'intention de démocratisation du gouvernement : il n'avance point l'idée que le gouvernement aurait quelque intérêt économique ou géopolitique à contrôler la région, et que celui-ci, dans la pratique, n'est point humaniste ni démocratisant, mais qu'il utilise la démocratie comme un alibi pour faire fleurir son empire, pour imposer son impérialisme aux pays dissidents. « Wicker représente la limite extrême de ce qui peut être exprimé en matière d'opinion dissidente dans les médias américains » (p. 19) Cela non pas parce qu'il est lui-même un propagandiste, non pas parce qu'il désire volontairement biaiser l'opinion publique, mais parce qu'il évolue dans un monde médiatique modélisé, standardisé, systématiquement propagandiste.

« Dans son ouvrage Deciding What's News, Gans soutient que les reporters sont dans leur grande majorité ''objectifs'', mais le sont dans un environnement où prédomine la croyance en un système de ''valeurs profondément ancrées'', incluant l'''ethnocentrisme'' et l'idée d'un ''capitalisme responsable''. » (p. 14)