mercredi 22 octobre 2014

Terrorisme, surveillance et hystérie collective


Après les attentats des derniers jours et, plus particulièrement, après les réactions qui ont suivi ces attentats, je ne pouvais ne pas reprendre l'écriture. Alors j'écris...

Le 11 septembre 2001 représente un tournant dans l'histoire du terrorisme en territoire occidental. Après les attentats de New York, la population américaine - et, particulièrement, la population new yorkaise - a sombré, peut-être avec raison, dans la peur. Cette peur a mené à ce que Naomi Klein a sagement nommé l'état de choc.

Autrement dit, la population américaine est passé de la peur légitime à l'hystérie collective - hystérie proportionnelle à la gravité bien réelle des attentats. Toutefois, l'état de choc et l'hystérie collective qui lui est rattaché ont rapidement été repris par l'État américain, et la peur a pu légitimer, même justifier une explosion de la surveillance policière dans New York, ainsi qu'un accroissement incroyable de l'armement militaire. Mieux encore, la peur a légitimer de déclarer la guerre à un pays dont les milices locales ne faisaient point la guerre à l'Occident, mais se la faisaient entre elles : l'Afghanistan.

L'Irak a suivi l'Afghanistan, et l'Irak a avant tout été un terreau fertile pour certains secteurs économiques américains. Le nombre de contractuels privés par soldat y a rapidement explosé, et les chiffres d'affaires de nombre de compagnies américaines a lui aussi explosé - et ces compagnies ne faisaient pas toutes dans l'armement, mais ont toutes en commun d'avoir tiré profit de l'ouverture de l'Irak pour s'y installer confortablement.

Tout ça pour quoi, déjà ? L'hystérie collective. Cette hystérie a justifié les guerres à l'externe et la surveillance à l'interne. Aujourd'hui, la présence policière à New York frôle la frénésie, et la surveillance dont est victime le peuple américain est sans équivoque liberticide.

*****

Qu'arrive-t-il lorsqu'une population entre en état de choc ?

Elle sombre. Elle s'en remet à celui ou celle qui les sauvera, car elle a peur et à besoin d'être sauvée et, surtout, d'être rassurée, sécurisée. Qui de mieux que l'État, puissant, bienveillant, sécurisant, démocratique, pour rassurer une population en détresse ?

Qui de mieux que l'État pour profiter de l'état de choc pour accroître sa puissance, sa présence dans les villes, sa surveillance, pour grossir son réseau d'importance ?

Qui de mieux que l'État pour générer un état de choc et pour, par la suite, en tirer profit ?

*****

Comment s'opère la création artificielle d'un état de choc ?

L'événement (en l'occurrence, l'attentat) se produit. Il fait naître en nous la peur. La peur s'accompagne du sentiment d'incompréhension, que nous devons combler. Alors nous cherchons.

Nous posons des questions, nous cherchons des réponses, et les premiers à les donner sont les médias et les dirigeant-e-s. Commentateurs et commentatrices politiques, représentant-e-s des forces armées et policières, politiciens et politiciennes, ministres, chefs d'État, journalistes, se relaient pour expliquer les faits, détailler les événements, décrire chaque action entreprise. Tous et toutes se relaient pour répondre à nos questions.

Nous sommes inquiets, nous cherchons des réponses. Et celles-ci nous sont offertes. Alors nous les prenons, et nous comblons notre vide.

À partir d'ici, tout est joué.

La classe médiatique et la classe politique peuvent se faire rassurantes. Elles peuvent nous calmer, nous rappeler qu'il ne sert à rien de paniquer, nous commander de garder calme et sang-froid. Elles peuvent aussi jouer la carte inverse. Elles peuvent nous rappeler que les terroristes sont des djihadistes qui s'attaquent à nos institutions démocratiques, et qu'il faut les punir, et que le Canada ne sera pas intimidé. Tout est dans le choix des mots et, plus encore, dans le sens donné à chaque mot.

La classe médiatique et la classe politique peuvent bien parler de la guerre, des dangers de l'islamisme radical, de la nécessité de surveiller les métropoles canadiennes, cibles potentielles des attentats. Elles peuvent bien nous marteler que nous devons rester vigilants, que le danger guette, que nous ne somme jamais trop prudents.

Inversement, elles pourraient nous commander de rester calme et nous inviter à prendre conscience que les deux auteurs des derniers attentats ont agi seuls et qu'aucun lien n'existe entre eux et des groupes terroristes réels et organisés.

Je vous laisse deviner quelle voie prennent aujourd'hui la classe médiatique et la classe politique.

*****

Comment s'opère la création artificielle d'un état de choc ?

Par les mots. Par les médias, les journaux, les grands titres sensationnalistes sur les dangers du terrorisme. Un mot vaut mille images; mille mots font la différence entre une population rassurée et une population terrorisée.

Selon les mots choisis, nous serons collectivement rassuré-e-s ou terrorisé-e-s par les médias et par l'État. C'est ainsi que l'État génère l'état de choc à partir de l'événement choc lui-même.

*****

Cette semaine, deux attentats ont été perpétrés au Canada, par des Québécois reconvertis à l'islam. Ces événements sont malheureux. Passons.

Deux attentats ont été perpétrés. Nous ne pourrons empêcher d'autres individus de tenter de terroriser la population canadienne. Nous n'avons, là-dessus, collectivement, que peu de contrôle. Toutefois, nous avons, du moins en principe, un contrôle sur un facteur déterminant pour l'avenir de notre société : la réaction de l'État.

Aujourd'hui plus que jamais, nous devons, collectivement, surveiller notre État. Nous ne devons pas laisser l'État profiter des événements pour justifier un accroissement illégitime de la surveillance policière et militaire de notre population. Avant tout, nous de devons pas laisser l'État générer un état de choc.

Plus que jamais, nous devons demeurer lucides et rationnels. L'hystérie collective mène rapidement à l'état de choc, et l'état de choc sera rapidement exploité par l'État canadien.

*****

Certes, il ne faut pas minimiser les événements. Cela dit, il faut, face à eux, garder notre calme. L'émotivité, la peur, la colère sont des artifices qui nous éloigneront de la rationalité et nous rapprocherons de l'état de choc. En ces temps, nous devons, je vous en prie, garder notre calme. Et réfléchir. Et surveiller l'État, afin que lui-même ne nous surveille pas.

Nous ne voulons pas d'un Big Brother.