jeudi 19 février 2015

Historique des grèves étudiantes au Québec


Le printemps approche et, avec lui, le mouvement de grève étudiante se met en marche. Je tâcherai, dans cet article, de résumer dans son essentiel l'historique des grèves étudiantes au Québec. L'objectif est de répondre à trois arguments, parfois formulés sous forme d'inquiétudes, maintes fois énoncés par les opposant-e-s à la grève :

1. La grève ne serait pas la bonne solution et il faudrait envisager d'autres moyens de pression.
2. La grève ne portera pas fruit et elle est un moyen inutile.
3. La session sera annulée.

J'ose croire que l'historique des grèves étudiantes au Québec et les conclusions qui en sont tirées sauront convaincre la communauté étudiante de la nécessité et de l'efficacité de la grève générale illimitée, tout en rassurant ladite communauté par rapport au risque, pratiquement nul, que les sessions scolaires soient annulées.

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1957 - Une subvention du gouvernement fédéral est accordée aux universités québécoises. Néanmoins, le gouvernement Duplessis refuse de transmettre le montant auxdites universités. Une grève de 24 heures est déclenchée. À ma connaissance, cette grève, sans être illimitée, est la première grève du mouvement étudiant québécois, qui commence alors à peine à prendre forme.

1958 - Une grève d'une journée est déclarée aux universités de Montréal, Laval, McGill, Bishop's et Sir-George William's (aujourd'hui Concordia), avec pour revendication l'abolition des droits de scolarité. Cette grève, comme la précédente, n'est pas illimitée, et fort évidemment, les frais de scolarité seront maintenus. Saluons tout de même les efforts de trois étudiant-e-s (Francine Laurendeau, Jean-Pierre Goyer et Bruno Meloche) pour l'occupation des bureaux du premier ministre Duplessis, occupation qui dura 37 jours.

À compter de ce point, les grèves mentionnées seront toutes des grèves générales illimitées.

1968 - Une grève est déclenchée par une quinzaine d'associations collégiales, ainsi que par quelques associations universitaires départementales et facultaires, réclamant la création d'une seconde université francophone à Montréal, une révision du régime des prêts et bourses, ainsi que la gratuité scolaire. La grève est déclenchée en octobre, et l'Assemblée nationale adopte en décembre la loi sur l'Université du Québec, qui mènera à la fondation du réseau des universités du Québec et à la fondation de l'UQAM. Les droits de scolarité sont gelés. Il est intéressant de constater que le rapport Parent, proposant entre autres la fondation d'une seconde université francophone à Montréal, avait été publié en 1963-1964. Il aura donc fallu attendre quatre ans avant que la proposition ne soit adoptée à l'Assemblée nationale - deux mois après le déclenchement de la grève étudiante.

1974 - Cette année-là, deux grèves ont lieu en automne, portant chacune des revendications distinctes. La première grève avait pour objet l'opposition au nouveaux tests d'aptitude pour les études universitaires. La seconde avait pour revendication l'amélioration du régime des prêts et bourses. Les étudiant-e-s obtiennent gain de cause aux deux grèves. L'ANEEQ (Association nationale des étudiants et des étudiantes du Québec) est fondée à la suite de cette grève, en 1975.

1978 - Cette grève-là est une grève offensive, en ce sens où elle a été déclenchée sans qu'il n'y ait eu nul mouvement législatif à l'Assemblée nationale. En fait, c'est face à l'abandon, par le gouvernement péquiste, de ses promesses sur la gratuité scolaire que le mouvement étudiant s'organise. Cette grève mène à une amélioration du régime des prêts et bourses. Notons que c'est la première fois, lors de cette grève, qu'une université québécoise est complètement fermée pour cause de grève - en l'occurrence, l'UQAM.

1986 - Face à l'intention formulée par le gouvernement libéral de dégeler les frais de scolarité, une grève est déclenchée. Le gel est maintenu jusqu'en 1989.

1988 - Une grève est déclenchée, avec pour revendication l'amélioration du régime des prêts et bourses. Malheureusement, le mouvement s'estompe rapidement, en partie en raison des déchirements internes au sein de l'ANEEQ. Après trois semaines, la grève prend fin, sans gains.

1990 - Une grève est lancée par opposition au dégel des frais de scolarité. Malheureusement, le mouvement ne se généralise pas et la grève s'estompe sans gains. L'ANEEQ est dissoute quelques années plus tard, en 1994.

1996 - Une grève est déclenchée en réaction à la hausse des frais de scolarité décrétée par Mme Marois, alors ministre de l'éducation. Les frais de scolarité sont gelés pour 10 ans.

2005 - Suite à l'annonce, par le gouvernement libéral, du transfert de 103 millions de dollars de bourses en prêts, une grève est mise en branle. Le transfert est annulé.

2012 - La plus longue grève étudiante de l'histoire du Québec a lieu, face à la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement libéral. La grève mènera, directement ou indirectement, à l'échec du Parti libéral du Québec aux élections provinciales, ainsi qu'à l'annulation de la hausse des frais de scolarité. Toutefois, la hausse n'est que très temporairement annulée, puisqu'elle est vite remplacée par une indexation desdits frais.

Maintenant, écrivons l'histoire...

2015 - Le Parti libéral du Québec annonce une série sans précédent de coupes sauvages dans tout ce qui touche, de près ou de loin, le tissu social québécois. L'éducation, la santé, la culture, l'environnement, la recherche scientifique, tout est passé au scalpel par le gouvernement, pour cause d'austérité. Refusant une destruction pure et nette du tissu social caractérisant notre société, le mouvement étudiant se met en marche, dans l'espoir d'être suivi de près par la société québécoise dans son ensemble. La lutte de 2015 a cela d'unique qu'elle ne concerne pas les étudiant-e-s en tant qu'étudiant-e-s, mais en tant que citoyen-ne-s québécois-e-s.

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Résumons notre historique, en ne tenant compte que des grèves générales illimitées - car il faut savoir que nombre de grèves limitées à une ou à quelques journées ont ponctué les dernières décennies, sans être ici mentionnées.

Dix grèves générales illimitées ont eu lieu, entre 1968 et 2012 inclusivement. Parmi celles-ci, huit se sont révélées par des victoires complètes ou partielles, en ce sens ou le mouvement étudiant est sorti de la grève avec des gains potentiels. Deux peuvent être considérées comme un échec : les grèves de 1988 et de 1990. Or, ces deux grèves ont été caractérisées par des déchirements au sein du mouvement étudiant - à l'inverse, le mouvement étudiant aujourd'hui semble d'une solidité épatante, peut-être même est-il plus uni qu'il ne l'était en 2012. Rien ne laisse donc présager un échec de la grève pour cause de déchirements internes.

Les gains obtenus à travers les grèves étudiantes sont les suivants :
- Amélioration du régime des prêts et bourses : 1974, 1978
- Annulation d'une détérioration au régime des prêts et bourses : 2005
- Gel des frais de scolarité : 1968, 1986, 1996
- Annulation d'une hausse des frais de scolarité : 1996, 2005
- Autre : abandon des tests d'aptitude pour les études universitaires, 1974

À la lumière de cet historique, il semble évident que la grève générale illimitée, loin d'être une stratégie inefficace, est au contraire un moyen de pression qui, à maintes reprises, fait ses preuves - pour être précis, 8 fois sur 10.

Ajoutons également qu'aucune grève dans l'histoire du Québec n'a mené à l'annulation d'une session scolaire. Le bordel administratif et physique qui en résulterait, couplé au manque de nouveaux diplômés et de nouvelles diplômées sur le marché du travail, représentent un problème trop pénible pour que l'État puisse le préférer à la négociation et à la conclusion d'une entente avec le mouvement étudiant. L'inquiétude relative à l'éventuelle annulation de la session scolaire semble donc, d'un point de vue historique, nettement exagérée.

Finalement, discutons des prétendues stratégies alternatives à la grève qui devraient être, selon les opposant-e-s à la grève, envisagées. Quelles sont-elles ?

Essentiellement, la société dispose, pour revendiquer ses droits face à l'État, de moyens variés, parmi lesquels figurent les manifestations, les pétitions, les occupations, les négociations, les lettres ouvertes, et j'en passe. Or, il me semble presque inutile de rappeler, tant cela frise l'évidence, que tous ces moyens de pression ont déjà été entrepris - sans succès. Le gouvernement libéral demeure intransigeant, malgré les nombreuses manifestations tenues dernièrement, malgré les nombreuses lettres ouvertes d'éminents intellectuels et d'éminentes intellectuelles appelant à une plus grande retenue dans les coupures budgétaires, malgré les pétitions, et j'en passe. Certaines négociations ont eu lieu, mais les gains obtenus sont fort peu satisfaisants, et le gouvernement ne semble pas disposé à négocier avec le mouvement étudiant en ce qui à trait aux coupures dans le secteur de l'éducation et de la recherche scientifique (nombre d'étudiant-e-s en sciences naturelles sont directement touché-e-s par ces coupures) - pas plus qu'il ne l'était en 2012.

Dans cette optique, j'ose constater que la grève générale illimitée est le meilleur recours face à l'intransigeance de l'État et qu'elle constitue notre meilleure arme. Évidemment, elle implique certains sacrifices de la part de tous et de toutes, mais je suis d'avis que ces sacrifices valent grandement la peine d'être faits, considérant le peu que nous avons à perdre et tout ce que nous pouvons gagner. Il suffit simplement de faire preuve d'une bonne force morale et d'accepter de sacrifier un petite tranche du soi pour l'intérêt commun du nous auquel, n'oublions pas, le soi appartient.

Seule la lutte paie !


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RÉFÉRENCES

Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante. (2012). Bloquons la hausse. Historique des grèves générales [en ligne], adresse URL: http://www.bloquonslahausse.com/verslagreve/historique-des-greves-generales/.

Radio-Canada. (22 mars 2012). Les grèves étudiantes au Québec : quelques jalons [en ligne], adresse URL: http://bit.ly/1ri1ctO.

Ataogul, S.. Gibson, A., Girard, D., Makela, F., Saint-Amant, M.-C., Verbauwhede, C, Lacoursière, B. (2013). Association des juristes progressistes du Québec. Grève étudiante : perspectives juridiques et historiques, 26 p.