Stoïcisme et déterminisme
Le stoïcisme, une philosophie du
bonheur et de l'art de vivre née en 300 av. J.-C. en Grèce ancienne, inspira ce
qui deviendra par après le déterminisme, courant bien apprécié des clergés
religieux, qui stipule que l'avenir des êtres est tracé, prédéfini, et que la
seule liberté que possède l'humain est sa réaction émotionnelle vis-à-vis son
destin. L'être humain n'aurait, dès sa naissance, aucune liberté d'action,
attendu que sa vie, au grand complet, serait déjà tracée.
Deux millénaires après la naissance du
stoïcisme vint un philosophe allemand pour le critiquer vertement : Karl Marx,
penseur communiste du XIXe siècle, liait alors la religion et la détresse
humaine, affirmant que l'émancipation des peuples nécessitait l'abandon de
Dieu.
Le déterminisme religieux : arme philosophique d'un
clergé autoritaire
La chute des systèmes
féodaux européens accabla l’Europe d’un libertarianisme économique socialement
désastreux : une minorité économique contrôlait une masse prolétaire, qu'elle
maintenait dans la pauvreté et dans l’ignorance. Entassé dans la cité, affamé,
endetté, le prolétariat subit sa souffrance, son désespoir, sans piper mot.
C’est, en bref, les temps de la Révolution industrielle et de ses injustices.
Durant cette
transition de la dictature féodale à la dictature bourgeoise, le clergé
catholique gardait mainmise sur la population. Celle-ci, vivant dans sa misère,
tentait vainement de s'accrocher à quelque aide qui soit, fut-elle symbolique.
C'est ainsi que l'Église profitait du prolétariat, en régissant le peuple, lui
faisant croire que sa misère était voulue par Dieu, déterminée à l'avance,
tracée par le destin - et que combattre le destin était utopique. De plus,
l'Église profitait de l'ignorance du peuple, de son manque d'éducation : peu éduqué,
l'esprit critique du peuple est inexistant; il devient facile aux hommes de
pouvoir et d'Église d'imposer au peuple une vision faussée du monde.
L'éducation ne faisant pas partie intégrante de la vie de la population, cette
entité religieuse arrivait donc à appliquer son pouvoir en totalité, sans être
inquiétée par une quelconque forme de protestation.
Reposait ici toute la stratégie
cléricale et politique :
1. Convaincre le peuple que sa misère
est voulue par Dieu et que rien ne sert de la combattre;
2. Le peuple, pauvre et misérable, n'a
aucunement les moyens financiers pour s'éduquer et pour éduquer ses enfants;
3.1 Le peuple, peu éduquée, ne conçoit
pas une philosophie de vie différente qui redonnerait à l'Homme sa liberté
totale, brisant l'idéologie déterministe d'un destin prédéfini;
3.2 L'esprit critique du peuple face
aux jeux de pouvoir du clergé est absent;
4. Aucune opposition intellectuelle
pouvant menacer le clergé et le pouvoir politique établi, ceux-ci ne sont pas
inquiétés.
En ce sens, le lien établi par Marx
entre la religion et la détresse humaine est presque parfaitement
légitime.
Luttes
syndicales, progrès social et laïcisation
Suite à d'importantes
réformes sociales, le prolétariat gagna en respect humain et son niveau de vie
augmenta considérablement. Le peuple, aujourd'hui, est instruit, éduqué,
respecté et certainement plus riche qu'il ne l'était au cours des derniers
siècles. Ce faisant, il a, via son éducation, développé un esprit critique
aiguisé. Cet esprit critique, ce sens de l'évaluation, lui permet de déterminer
indépendamment ce qui est bon pour lui, puis ce qui ne l'est pas. Ainsi, tant
les gouvernements que les institutions religieuses perdirent, au cours de ce
progrès, la mainmise sur le peuple souverain. Dieu ne suffisant plus aux
hommes, ces derniers cherchèrent des réponses à leurs questionnements à travers
d'autres horizons - la science, la recherche, les preuves indéniables. Bref,
sorti de la détresse, le peuple abandonna l'Église. Éduqué, il abandonna cette idée
préconçue d'un ordre voulu par Dieu, abandonna ces croyances populaires
affirmant que rien ne s'explique autrement que par Dieu : le peuple se laïcise,
expulsant de son avenir politique l'Église étouffante et, du même coup, sans
toujours le savoir, assassine le déterminisme pour laisser grandir l'existentialisme.
La philosophie existentialiste, à l'inverse du déterminisme, nie toute ingérence divine dans l'avenir des êtres. Le destin n'y a donc pas sa place, et l'humain est entièrement libre de devenir ce qu'il désire être. La misère, ainsi, n'est plus voulue par Dieu, mais n'est que le désir des dirigeants.
L'erreur
de Marx
Toutefois, si l'Église
perd une part effarante de son rôle dans la société, le divin, lui, ne connait
pas un tel recul. En effet, les peuples éduqués abandonnent moins la foi en
Dieu que celle en l'Église. En d'autres termes, l'Église perd son pouvoir, vu
que la masse populaire ne croit plus en l'institutionnalisation de la foi; la
masse populaire croit en la foi de manière autonome, individuelle. Bref, le
peuple se laïcise énormément, mais adopte bien moins l'athéisme que l'on ne
pourrait le croire.
Face à une science
effrayante, énorme, et face à un univers infiniment complexe, l'Homme ne peut
concevoir que le hasard suffise à expliquer le monde qui l'entoure. Ce faisant,
l'Homme garde la foi. Il croit en un être Tout-puissant, mais refuse d'accorder
cette puissance à une institution étatique, à d'autres hommes en soutane
prêchant la bonne conscience. Ainsi, nombreux Québécois affirment être
catholiques, affirment croire en Dieu, mais rajoutent par la suite qu'ils ne
croient pas en l'Église. En d'autres termes, comme dit le dicton : peu de
science éloigne de Dieu, beaucoup de science nous y ramène.
Grosso modo, la
religion est séparée de son organe politique pour redevenir ce qu'elle était à
ses débuts : la foi en Dieu, sans faux-semblants, sans dogmatisme, sans
déterminisme absurde, sans pouvoirs politiques, sans autoritarisme. Le
phénomène religieux et le politique, confondus par l'institution politique
qu'est l'Église, sont dissociés.
L'erreur de Marx est
toute là : plutôt que de lier religion et détresse humaine, celui-ci aurait dû
lier institutionnalisation de la religion et détresse humaine.
En d'autres termes, un lien entre clergé politique et misère aurait été plus
juste.
Histoire religieuse de la Grèce ancienne
L'histoire de la Grèce ancienne nous
apprend, au déplaisir des fervents athées, que la religion n'est aucunement
incompatible avec l'émancipation intellectuelle. En effet, la mythologie
grecque, bien présente aux temps des grands philosophes grecs, n'a point
empêché l'essor de la philosophie. À l'inverse, les religions monothéistes, au
cours de l'Histoire, ont souvent été un frein au discours intellectuel,
réduisant tout effort du peuple de sortir du dogmatisme religieux pour
questionner scientifiquement le monde. Comment expliquer cette contradiction historique ?
La mythologie grecque avait cela de
particulier qu'elle n'était aucunement institutionnalisée : aucun clergé
n'existait en Grèce ancienne pour dicter la foi aux croyants. Le peuple était
libre de croire à sa manière, et la foi était libre et ouverte. Cette absence
du clergé empêchait donc la présence du dogmatisme religieux : il n'y avait
point de vérités absolues, vu qu'il n'existait aucun organe politique et
religieux pour les imposer.
Cette absence du clergé laissait donc
place au questionnement de la foi et à l'adaptation de la foi aux progrès
scientifiques et intellectuels.
Malheureusement, les religions
monothéistes ont toutes trois été salement institutionnalisées, perdant leur
beauté pour devenir de vulgaires armes politiques et intellectuelles. Ainsi, le
phénomène religieux n'est point à blâmer pour le frein à tout essor
intellectuel au cours du Moyen-âge : le véritable coupable est, encore une
fois, le phénomène politique, devenu autoritaire par son goût du pouvoir.
Anarchisme
religieux et décentralisation du clergé
Pour redonner à la religion ses lettres
de noblesse, démanteler l'organe politique qu'elle est devenue est un pas
décisif. Il s'agit en fait d'une décentralisation des pouvoirs, réduisant la
pratique religieuse à la relation fondamentale liant le croyant à son église et
l'individu à son prêtre.
Le démantèlement du clergé redonnerait
également aux prêtres et aux églises leur liberté totale, faisant de chaque
établissement religieux un lieu de prière indépendant ainsi qu'un lieu de
réflexion entre les prêtres et les croyants sur le monde, sur Dieu, sur la
religion. L'église deviendrait ainsi une école de théologie (la théologie est
la science de la religion) enseignant aux gens l'art de vivre, sans imposer une
quelconque vérité absolue aux adeptes.
En d'autres mots, il s'agit de mettre
un terme au réseau énorme formé par les hommes religieux; de mettre un terme à
l'autorité politique du Vatican, par exemple, pour remettre cette autorité
entre les mains des prêtres et des croyants, qui sont les acteurs premiers du
phénomène religieux. L'objectif global visé est donc l'autogestion des églises
et des lieux de prière.
Ainsi seraient réaffirmés le lien
ultime entre Dieu et chaque individu et le lien ultime entre Dieu et tous les
humains, pris ensemble. Sortir le politique du religieux, c'est enlever au
monde religieux sa soif de pouvoir et son penchant autoritaire.
Une
réponse au problème soulevé par Karl Marx
L'émancipation des peuples ne passe par
nécessairement par l'abandon de Dieu, mais par le démantèlement des
clergés religieux, toutes religions confondues. Faire du phénomène religieux un
pouvoir politique a largement fait oublier aux hommes religieux leur rôle
fondamental pour les transformer en une arme politique. Car tout être qui goûte
au pouvoir s'y plait et s'y accroche, il ne faut laisser aucun
être goûter ce mal absolu.
Des religions de liberté et d'amour,
voilà ce que sont, à la base, les religions monothéistes. Redonnons à ces
religions leur noblesse, leur beauté et leur pureté.