dimanche 6 janvier 2013

Religion et détresse humaine - critique du lien établi par Karl Marx


Stoïcisme et déterminisme

Le stoïcisme, une philosophie du bonheur et de l'art de vivre née en 300 av. J.-C. en Grèce ancienne, inspira ce qui deviendra par après le déterminisme, courant bien apprécié des clergés religieux, qui stipule que l'avenir des êtres est tracé, prédéfini, et que la seule liberté que possède l'humain est sa réaction émotionnelle vis-à-vis son destin. L'être humain n'aurait, dès sa naissance, aucune liberté d'action, attendu que sa vie, au grand complet, serait déjà tracée.

Deux millénaires après la naissance du stoïcisme vint un philosophe allemand pour le critiquer vertement : Karl Marx, penseur communiste du XIXe siècle, liait alors la religion et la détresse humaine, affirmant que l'émancipation des peuples nécessitait l'abandon de Dieu. 


Le déterminisme religieux : arme philosophique d'un clergé autoritaire

La chute des systèmes féodaux européens accabla l’Europe d’un libertarianisme économique socialement désastreux : une minorité économique contrôlait une masse prolétaire, qu'elle maintenait dans la pauvreté et dans l’ignorance. Entassé dans la cité, affamé, endetté, le prolétariat subit sa souffrance, son désespoir, sans piper mot. C’est, en bref, les temps de la Révolution industrielle et de ses injustices.

Durant cette transition de la dictature féodale à la dictature bourgeoise, le clergé catholique gardait mainmise sur la population. Celle-ci, vivant dans sa misère, tentait vainement de s'accrocher à quelque aide qui soit, fut-elle symbolique. C'est ainsi que l'Église profitait du prolétariat, en régissant le peuple, lui faisant croire que sa misère était voulue par Dieu, déterminée à l'avance, tracée par le destin - et que combattre le destin était utopique. De plus, l'Église profitait de l'ignorance du peuple, de son manque d'éducation : peu éduqué, l'esprit critique du peuple est inexistant; il devient facile aux hommes de pouvoir et d'Église d'imposer au peuple une vision faussée du monde. L'éducation ne faisant pas partie intégrante de la vie de la population, cette entité religieuse arrivait donc à appliquer son pouvoir en totalité, sans être inquiétée par une quelconque forme de protestation. 

Reposait ici toute la stratégie cléricale et politique :
1. Convaincre le peuple que sa misère est voulue par Dieu et que rien ne sert de la combattre;
2. Le peuple, pauvre et misérable, n'a aucunement les moyens financiers pour s'éduquer et pour éduquer ses enfants;
3.1 Le peuple, peu éduquée, ne conçoit pas une philosophie de vie différente qui redonnerait à l'Homme sa liberté totale, brisant l'idéologie déterministe d'un destin prédéfini;
3.2 L'esprit critique du peuple face aux jeux de pouvoir du clergé est absent;
4. Aucune opposition intellectuelle pouvant menacer le clergé et le pouvoir politique établi, ceux-ci ne sont pas inquiétés.

En ce sens, le lien établi par Marx entre la religion et la détresse humaine est presque parfaitement légitime. 


Luttes syndicales, progrès social et laïcisation

Suite à d'importantes réformes sociales, le prolétariat gagna en respect humain et son niveau de vie augmenta considérablement. Le peuple, aujourd'hui, est instruit, éduqué, respecté et certainement plus riche qu'il ne l'était au cours des derniers siècles. Ce faisant, il a, via son éducation, développé un esprit critique aiguisé. Cet esprit critique, ce sens de l'évaluation, lui permet de déterminer indépendamment ce qui est bon pour lui, puis ce qui ne l'est pas. Ainsi, tant les gouvernements que les institutions religieuses perdirent, au cours de ce progrès, la mainmise sur le peuple souverain. Dieu ne suffisant plus aux hommes, ces derniers cherchèrent des réponses à leurs questionnements à travers d'autres horizons - la science, la recherche, les preuves indéniables. Bref, sorti de la détresse, le peuple abandonna l'Église. Éduqué, il abandonna cette idée préconçue d'un ordre voulu par Dieu, abandonna ces croyances populaires affirmant que rien ne s'explique autrement que par Dieu : le peuple se laïcise, expulsant de son avenir politique l'Église étouffante et, du même coup, sans toujours le savoir, assassine le déterminisme pour laisser grandir l'existentialisme.

La philosophie existentialiste, à l'inverse du déterminisme, nie toute ingérence divine dans l'avenir des êtres. Le destin n'y a donc pas sa place, et l'humain est entièrement libre de devenir ce qu'il désire être. La misère, ainsi, n'est plus voulue par Dieu, mais n'est que le désir des dirigeants.


L'erreur de Marx

Toutefois, si l'Église perd une part effarante de son rôle dans la société, le divin, lui, ne connait pas un tel recul. En effet, les peuples éduqués abandonnent moins la foi en Dieu que celle en l'Église. En d'autres termes, l'Église perd son pouvoir, vu que la masse populaire ne croit plus en l'institutionnalisation de la foi; la masse populaire croit en la foi de manière autonome, individuelle. Bref, le peuple se laïcise énormément, mais adopte bien moins l'athéisme que l'on ne pourrait le croire.

Face à une science effrayante, énorme, et face à un univers infiniment complexe, l'Homme ne peut concevoir que le hasard suffise à expliquer le monde qui l'entoure. Ce faisant, l'Homme garde la foi. Il croit en un être Tout-puissant, mais refuse d'accorder cette puissance à une institution étatique, à d'autres hommes en soutane prêchant la bonne conscience. Ainsi, nombreux Québécois affirment être catholiques, affirment croire en Dieu, mais rajoutent par la suite qu'ils ne croient pas en l'Église. En d'autres termes, comme dit le dicton : peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science nous y ramène.

Grosso modo, la religion est séparée de son organe politique pour redevenir ce qu'elle était à ses débuts : la foi en Dieu, sans faux-semblants, sans dogmatisme, sans déterminisme absurde, sans pouvoirs politiques, sans autoritarisme. Le phénomène religieux et le politique, confondus par l'institution politique qu'est l'Église, sont dissociés.

L'erreur de Marx est toute là : plutôt que de lier religion et détresse humaine, celui-ci aurait dû lier institutionnalisation de la religion et détresse humaine. En d'autres termes, un lien entre clergé politique et misère aurait été plus juste. 


Histoire religieuse de la Grèce ancienne

L'histoire de la Grèce ancienne nous apprend, au déplaisir des fervents athées, que la religion n'est aucunement incompatible avec l'émancipation intellectuelle. En effet, la mythologie grecque, bien présente aux temps des grands philosophes grecs, n'a point empêché l'essor de la philosophie. À l'inverse, les religions monothéistes, au cours de l'Histoire, ont souvent été un frein au discours intellectuel, réduisant tout effort du peuple de sortir du dogmatisme religieux pour questionner scientifiquement le monde. Comment expliquer cette contradiction historique ?

La mythologie grecque avait cela de particulier qu'elle n'était aucunement institutionnalisée : aucun clergé n'existait en Grèce ancienne pour dicter la foi aux croyants. Le peuple était libre de croire à sa manière, et la foi était libre et ouverte. Cette absence du clergé empêchait donc la présence du dogmatisme religieux : il n'y avait point de vérités absolues, vu qu'il n'existait aucun organe politique et religieux pour les imposer. 

Cette absence du clergé laissait donc place au questionnement de la foi et à l'adaptation de la foi aux progrès scientifiques et intellectuels. 

Malheureusement, les religions monothéistes ont toutes trois été salement institutionnalisées, perdant leur beauté pour devenir de vulgaires armes politiques et intellectuelles. Ainsi, le phénomène religieux n'est point à blâmer pour le frein à tout essor intellectuel au cours du Moyen-âge : le véritable coupable est, encore une fois, le phénomène politique, devenu autoritaire par son goût du pouvoir.


Anarchisme religieux et décentralisation du clergé

Pour redonner à la religion ses lettres de noblesse, démanteler l'organe politique qu'elle est devenue est un pas décisif. Il s'agit en fait d'une décentralisation des pouvoirs, réduisant la pratique religieuse à la relation fondamentale liant le croyant à son église et l'individu à son prêtre.

Le démantèlement du clergé redonnerait également aux prêtres et aux églises leur liberté totale, faisant de chaque établissement religieux un lieu de prière indépendant ainsi qu'un lieu de réflexion entre les prêtres et les croyants sur le monde, sur Dieu, sur la religion. L'église deviendrait ainsi une école de théologie (la théologie est la science de la religion) enseignant aux gens l'art de vivre, sans imposer une quelconque vérité absolue aux adeptes.

En d'autres mots, il s'agit de mettre un terme au réseau énorme formé par les hommes religieux; de mettre un terme à l'autorité politique du Vatican, par exemple, pour remettre cette autorité entre les mains des prêtres et des croyants, qui sont les acteurs premiers du phénomène religieux. L'objectif global visé est donc l'autogestion des églises et des lieux de prière.

Ainsi seraient réaffirmés le lien ultime entre Dieu et chaque individu et le lien ultime entre Dieu et tous les humains, pris ensemble. Sortir le politique du religieux, c'est enlever au monde religieux sa soif de pouvoir et son penchant autoritaire.


Une réponse au problème soulevé par Karl Marx

L'émancipation des peuples ne passe par nécessairement par l'abandon de Dieu, mais par le démantèlement des clergés religieux, toutes religions confondues. Faire du phénomène religieux un pouvoir politique a largement fait oublier aux hommes religieux leur rôle fondamental pour les transformer en une arme politique. Car tout être qui goûte au pouvoir s'y plait et s'y accroche, il ne faut laisser aucun être goûter ce mal absolu.

Des religions de liberté et d'amour, voilà ce que sont, à la base, les religions monothéistes. Redonnons à ces religions leur noblesse, leur beauté et leur pureté.