L'opinion publique est manipulée par les médias de masse, qui l'orientent vers une direction politique choisie. Ce faisant, le réel débat politique dans le monde démocratique est inexistant : les alternatives électorales qui s'offrent à nous sont toutes les mêmes, et, malgré des détails différents, le projet politique global de tous les partis présentés comme aptes à diriger le pays ne varie presque pas.
Les grands axes de la direction politique diffusée : capitalisme et étatisme
Ce
projet, cette direction politique, s'oriente sur un grand axe et, parfois, sur
un second. Le premier, nécessaire, est le capitalisme, le libre-marché, le
néo-libéralisme. Tous les médias de masse défendent le capitalisme, et les
quelques chroniqueurs dissidents ne s'éloignent jamais trop loin de la ligne
directrice.
Par
exemple, certains chroniqueurs de gauche peuvent critiquer la hausse des frais
de scolarité. Toutefois, aucune critique globale du capitalisme n'est lue ou
entendue dans un média de masse.
Le
second axe est l'étatisme. La plupart des médias de masse encouragent l'idéologie de
l'État (l'étatisme, qui s'oppose à l'anarchisme, est la doctrine
faisant la promotion de l'État comme nécessité en politique et comme vecteur de
changement politique), car ce dernier est souvent l'appui par excellence de la
grande bourgeoisie. En effet, l'État, pour survivre, a besoin d'une bourgeoisie
qui le soutienne économiquement. Dans les dictatures, cette bourgeoisie lui
fournit les armes : le cas de l'U.R.S.S. est parlant, où la bourgeoisie créée par
le gouvernement quelques ans suivant la Révolution armait la police et,
surtout, l'armée rouge, forces politiques nécessaires au maintien du pouvoir en
place. Dans les démocraties, elle assure au gouvernement une réélection ou
décide de sa perte politique : il suffit qu'un média de masse décide de
glorifier ou de rabaisser un parti et les intentions de vote changent
totalement, attendu que la majorité des Québécois-es ne s'informent que très
peu de la politique, n'ont jamais lu ni plateforme électorale, ni parti
politique et ne se fient, pour voter, qu'aux discours, au Débat des chefs, aux
analyses des ''experts'', qui ne sont que les experts invités par le média,
sinon d simples chroniqueurs.
Quelques
médias n'encouragent pas l'étatisme : ceux-là se disent libertariens et prônent
la suppression de l'État pour laisser le libre-marché dominer. N'empêche, ces
grands médias libertariens appuient toute mesure capitaliste de l'État et
condamnent toute mesure progressiste. C'est le cas, par exemple, de Radio X,
qui s'insurge contre la hausse des impôts des riches, mais encourage la hausse
des frais de scolarité.
Médias bourgeois et modèle de propagande
Ceci
dit, il faut encore prouver que les médias appartiennent réellement à la grande
bourgeoisie. Pour ce faire, disons-le d'emblée, je m'inspire de cette source-ci
: CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. La fabrication du consentement, Marseille,
Agone, 2009, 4e éd., 669 p.
Dans
cet essai, Chomsky et Herman dressent un modèle de propagande orienté sur cinq
filtres :
- · taille, actionnariat, orientation lucrative;
- · la régulation par la publicité;
- · les sources d'informations;
- · contre-feux et autres moyens de pression;
- · anti-communisme.
Pour
alléger le texte, je ne développerai que les deux premiers points. Note : la
première édition du livre date de 1988. Avec le temps, l'anti-communisme est
devenu l'anti-terrorisme.
1er filtre : taille, actionnariat, orientation lucrative
Les
auteurs affirment que le premier filtre épure le milieu médiatique, en
l'offrant entièrement à la bourgeoisie. Cette épuration est expliquée par
l'explosion des coûts et investissements nécessaires au bon fonctionnement d'un
journal national à grand tirage. Ainsi, à New York, en 1851, le coût de
lancement d'un nouveau journal s'élevait à 69 000 $. En 1872, le St. Louis
Democrat est acquis pour 460 000 $ aux enchères. Dans les années 1920, les
journaux new-yorkais se cédaient entre six et dix-huit millions de dollars. À
propos de la machinerie nécessaire, les coûts se chiffraient à des centaines de
milliers de dollars et ce, même pour un journal à faible tirage. Ainsi, l'accès
à la propriété d'un média fut graduellement limité par les coûts. Pour avoir
droit à cet accès, il faut aujourd'hui disposer de moyens financiers
considérables, faute de quoi le média est condamné à être marginal, à faible
tirage et local.
2e filtre : la régulation par la publicité
«
Commentant au milieu du XIXe siècle les avantages du libre-échange comme mode
de contrôle des opinions dissidents, le très libéral ministre des Finances
britannique sir George Lewis faisait valoir que le marché privilégierait
naturellement les journaux ''jouissant de la faveur du public et de la
publicité''. La publicité allait en effet devenir un puissant mécanisme de sape
de la presse de la classe ouvrière. Curran et Seaton donnent le même statut à
sa croissance qu'à celle des coûts de production parmi les facteurs expliquant
que le marché air réussi là où les taxes et le harcèlement avaient échoué :
''Les publicitaires acquirent de facto un droit de veto sur les journaux, dès
lors que, sans leur appui, ceux-ci cessaient d'être économiquement viables.''»
(pp. 46-47)
En
fait, avant l'apparition de la publicité dans le milieu médiatique, « les coûts
de production devaient être couverts par le prix de vente. » (p. 47) Or,
lorsque la publicité fit son apparition, les médias qui bénéficiaient de son
appui pouvaient se permettre de vendre leur produit à perte, compensant les
coûts de production par les revenus engendrés via la publicité. Ainsi, les
médias faisant appel aux publicitaires offraient un produit nettement moins
cher : la concurrence fit tranquillement disparaitre de la scène nationale tout
média désireux de garder son indépendance totale, puisque celui-ci cessait de
facto d'être concurrentiel.
Or,
les publicitaires ne sont pas attirés par la presse anticapitaliste pour deux
raisons : d'abord parce que le lectorat de cette presse est prolétaire, pauvre
et consomme peu - à ce sujet, un cadre de la publicité affirmait, en 1856, sur
la presse anticapitaliste : « Leurs lecteurs n'achètent rien, et toute somme
qui leur est consacrée est autant d'argent jeté par la fenêtre. » (p. 48);
ensuite, parce que la presse anticapitaliste présente des idéologies ennemis
aux intérêts marchands des publicitaires. À propos de la discrimination subie
par la presse radicale, Chomsky et Herman écrivent : « bien des entreprises
refusent en outre de subventionner des ennemis idéologiques ou veux qu'ils
perçoivent comme nuisant à leurs intérêts, et des cas de discrimination ouverte
viennent s'ajouter à l'élection censitaire. En 1985, les studios TV WNET
perdirent leurs crédits de Gulf + Western suite à la diffusion du documentaire
Hungry for Profit, qui critiquait les activités des multinationales dans le
tiers-monde. Avant même la diffusion du programme, anticipant la réaction des
industriels, les responsables de la chaîne affirmait avoir ''fait le maximum
pour aseptiser le documentaire''.La direction du Gulf + Western se plaignit
néanmoins auprès de la chaîne de ce que le programme étaient (sic) ''violemment
antibusiness, voire anti-américain'', et que la programmation d'un tel
documentaire n'était pas le genre d'attitude que la firme attendait de ses
''amis''. Le London Economist conclut laconiquement : ''Il semble clair
désormais que WNET ne fera pas la même erreur une deuxième fois.'' » (p. 51) Pire encore, certains
publicitaires ne cachent pas leur discrimination : ainsi, le directeur de la
communication d'entreprise de General Electric déclarait : « Nous entendons
privilégier une programmation dont l'esprit vienne renforcer nos messages
d'entreprise ». Finalement, les auteurs affirment que les annonceurs et les
publicitaires « soutiendront rarement des programmes mettant en cause les
pratiques de l'industrie, comme les problèmes de dégradation de
l'environnement, les activités du complexe militaro-industriel ou le soutien
aux pires dictatures du tiers-monde et les substantiels bénéfices qui en sont
tirés par le monde des affaires. » (p. 51)
Le
survol du modèle de propagande dressé par Chomsky et Herman prouve que les
grands médias et, plus principalement, les dirigeants et les actionnaires de
ces grands médias, sont intéressés à diffuser largement une idéologie
capitaliste. Les opinions politiques dissidentes n'apparaissent pas dans les
médias de masse, d'abord parce que ceux qui les possèdent rejettent absolument
l'anticapitalisme, qui s'élève contre leurs intérêts de classe bourgeoise;
ensuite par les publicitaires, par qui le média est concurrentiel, donc
économiquement viable, perçoivent la presse anticapitaliste comme une ennemie
idéologique.
Propagande médiatique et réorientation de l’opinion publique
Cet
intérêt constant de l’appareil médiatique à promouvoir le capitalisme biaise
l'opinion publique, qui devient parfaitement orientée. Le média n'est pas
neutre, mais biaisé par ses intérêts de classe. Ainsi, toute idée politique,
tout mouvement politique et tout parti politique sensiblement trop à gauche est
diabolisé par les médias de masse, duquel ledit média dresse un portrait sombre
est noir. Ainsi, l'ASSÉ apparait comme un regroupement d'extrémistes radicaux,
Québec Solidaire comme un parti inapte à diriger un pays et le marxisme et
l'anarchisme comme des idéologies dangereuses et tout à fait condamnables.
Une
fois l'opinion publique réorientée, tout le système politique en devient
faussé. Comment, en effet, peut-on affirmer notre démocratie comme étant
réellement démocratique, alors que ceux qui contrôlent l'opinion publique sont
parfaitement biaisés et décident, au final, non pas de l'issue exacte d'une
élection, mais de l'issue idéologique, c'est-à-dire que le projet politique qui
sera porté au pouvoir est rarement un réel projet de gauche.
La réforme du Nouveau Parti Démocratique
Un
exemple flagrant des conséquences de ce modèle entache le NPD. Ce parti,
toujours considéré comme marginal et inapte à prendre le pouvoir, ne récoltait
traditionnellement que peu de votes. Or, aux dernières élections, le ras-le-bol
généralisé des Québécois-es l'a porté à l'opposition. Dès lors, le NPD est
devenu un parti, pour reprendre l'expression de Pierre Bourgault, « respectable
». Or, pour préserver cette image et pour avoir une chance de gouverner, le
parti doit faire des médias canadiens de masse non pas ses ennemis, mais ses
alliés - faute de quoi, le monde médiatique dresse la population contre le
parti et ce dernier retourne au banc des marginaux. Pour ce faire, lors de son
dernier congrès, le parti réoriente totalement sa vision politique : il efface
toute mention du socialisme de son programme, se distancie des syndicats
canadiens et quitte la gauche pour œuvrer au centre. Ce faisant, il maintient
sa « respectabilité » auprès des médias et préserve ses chances d'accession au
pouvoir.
L’efficacité du modèle de propagande : la Commission Creel, 1917
Maintenant,
afin de parfaire mes propos, je me dois de prouver un dernier point : que les
stratégies propagandistes des médias fonctionnent et font effet. Pour ce faire,
reculons dans l'histoire des États-Unis.
En
1916, aux États-Unis, le président Woodrow Wilson vient d'être réélu. Au centre
de la campagne électoral apparait le thème de la guerre, qui fait rage en
Europe. Wilson, pour sa part, avait promis au peuple américain que le pays
n'interviendrait pas dans cette guerre. Cette promesse le mit au pouvoir.
Or,
un an plus tard, l'entrée en guerre des États-Unis est décidée. Il faut donc
convaincre la population américaine, majoritairement opposée à la guerre, de
cette nécessité de prendre les armes. Pour ce faire, le gouvernement met sur
pied la Committee on Public Information, aussi connue sous le nom de Commission
Creel, du nom du journaliste qui la dirige : George Creel.
Normand
Baillargeon, à propos de la Commission Creel, écrit : « En quelques mois, elle
mobilisera tous les moyens possibles (radio, presse, télégraphe, affiches,
notamment) pour faire changer d’avis l’opinion publique. Parmi ses innovations,
ceux qu’on appellera les «four minute men», des personnages souvent connus de
leur milieu (le médecin, l’avocat, l’instituteur) qui prononcent en public des
discours de quatre minutes pour aviver la ferveur martiale. Il se prononcera,
estime-t-on, plus de 7 millions de ces discours durant le travail de la
commission Creel, laquelle connaîtra un immense succès et permettra aux
États-Unis d’entrer en guerre. Hitler attribuera en partie la défaite de
l’Allemagne à l’efficacité de la propagande américaine et n’oubliera pas la
leçon le moment venu. Il ne sera pas le seul. » (BAILLARGEON, Normand. « La
commission Creel et le viol des foules », Le Voir, Montréal, 8 novembre 2012,
[s.v.n.n.n.p.].)
La dissidence en monde médiatique
Pour
conclure, le modèle de propagande fixe les limites de l'acceptable en matière
de programmation médiatique. Ainsi, affirmer que les médias parlent à l'unisson
est aussi faux qu'affirmer qu'ils sont neutres et impartiaux. Toutefois, le
journaliste, lui, parvient toute de même à préserver son image d'indépendance.
Or, indépendance du journaliste n'est pas totale, puisque celui-ci évolue dans
un monde où les limites lui sont imposées. Ainsi, un journaliste peut remettre
en cause les moyens employés par les gouvernants, mais rarement les idéologies
qui cachent les projets desdits gouvernants. À propos de la dissidence du
journaliste, Chomsky et Herman relatent la critique de l'intervention
américaine au Nicaragua, en 1987, effectuée par Tom Wicker. Ce dernier écrivait
: « Quelle que puisse être leur doctrine, les États-Unis n'ont aucun droit,
historique ou divin, d'imposer la démocratie aux autres nations, objectif qui
ne justifie en rien qu'ils renversent les gouvernements qui leur déplaisent. »
(CHOMSKY, Noam et Edward HERMAN. Op. cit., p.19).
Ici,
Wicker critique les moyens mis en oeuvre par le gouvernement américain pour
faire fleurir la démocratie ailleurs dans le monde. Toutefois, le journaliste
ne met pas en doute l'intention de démocratisation du gouvernement : il
n'avance point l'idée que le gouvernement aurait quelque intérêt économique ou
géopolitique à contrôler la région, et que celui-ci, dans la pratique, n'est
point humaniste ni démocratisant, mais qu'il utilise la démocratie comme un
alibi pour faire fleurir son empire, pour imposer son impérialisme aux pays
dissidents. « Wicker représente la limite extrême de ce qui peut être exprimé
en matière d'opinion dissidente dans les médias américains » (p. 19) Cela non
pas parce qu'il est lui-même un propagandiste, non pas parce qu'il désire
volontairement biaiser l'opinion publique, mais parce qu'il évolue dans un
monde médiatique modélisé, standardisé, systématiquement propagandiste.
«
Dans son ouvrage Deciding What's News, Gans soutient que les reporters sont
dans leur grande majorité ''objectifs'', mais le sont dans un environnement où
prédomine la croyance en un système de ''valeurs profondément ancrées'',
incluant l'''ethnocentrisme'' et l'idée d'un ''capitalisme responsable''. » (p.
14)
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